Décider de voyager s'est imposé à moi comme une idée lumineuse, cependant, dès que j'ai franchi le seuil de ma porte, le doute et l'angoisse m'ont submergé tel un tsunami. Le point de non-retour était déjà derrière moi, alors j'ai resserré ma prise sur mon sac, déterminée, et ai poursuivi ma route. Ce périple promettait une opportunité de me redécouvrir, mais il m'a plutôt révélé ma tendance à fuir mes responsabilités.
Pour dire vrai, le dessein principal de ce voyage consistait à m'éloigner de chez moi, tout simplement parce que j'étais dans l'impasse quant à la décision à prendre… J'imaginais que voyager me guiderait vers une solution, mais, à mesure que je découvrais des endroits aussi variés que splendides, je réalisais que je m'éloignais davantage de cette prise de décision. C'était comme un cercle vicieux qui, étrangement, semblait me convenir à la perfection.
La première fois où j'ai véritablement pris conscience de cela, c'était lors de mon voyage dans le sud de la France, dans l'ancienne cité des Papes, Avignon. Jamais je n'aurais pensé m'y rendre de ma propre initiative, et encore moins en solitaire. Pourtant, ces deux jours passés là-bas furent d'une agréable étrangeté. La ville m'a séduite au point où je me suis surprise à imaginer un futur là-bas. Les deux villes que j'avais visitées précédemment ne m'avaient pas procuré une telle sensation, bien qu'elles aient rempli leur rôle en m'aidant à temporairement oublier la raison qui m'avait poussée à partir. Mais Avignon… Ah, Avignon, c'était une expérience tout à fait différente.
Je flânais, adoptant la démarche typique de tout touriste, lorsque mes yeux s'arrêtèrent sur un groupe de travailleurs, visiblement des cadres, à en juger par leurs costumes soignés. Ils étaient uniquement attablés en terrasse, partageant une conversation et un repas. Une pause déjeuner des plus banales, telles que l'on en voit partout. Et pourtant. Mon cœur s'emballa brusquement, et je fus prise de terreur. L'angoisse m'envahit. J'étais figée sur place. Sans réfléchir, je m'échappai à nouveau. J'ai regagné l'hôtel et n'y ai pas bougé jusqu'au lendemain.
Le matin qui suivit fut paisible, les ruelles étaient désertes à cette heure matinale. La beauté enchanteresse de la ville persistait, mais l'angoisse qui m'habitait encore m'empêchait d'en profiter pleinement. Le soir venu, je me trouvais déjà à bord d'un train en direction d'une ville choisie au hasard, une destination qui avait réussi à piquer ma curiosité.
Mon périple en Bretagne marqua le second endroit où la réalité me rattrapa, serrant un peu plus mon cœur. J'avais fui depuis deux semaines déjà, et à l'exception de l'incident survenu à Avignon, tout se déroulait pour le mieux. La Bretagne avait toujours figuré sur ma liste des lieux à explorer un jour, et il semblait que le moment était venu. Les plages caressées par les vents, les villes foisonnantes et les forêts ténébreuses composaient une toile si rafraîchissante et singulièrement différente de ce que je connaissais.
Je m'aventurais plus profondément dans la forêt, entre les arbres majestueux et les sentiers sinueux, un mouvement furtif attira mon attention. Mon pas ralentit instinctivement, mes yeux scrutaient les alentours. C'est alors qu'une lueur de fourrure brillante émergea des buissons proches. C'était une loutre, une créature espiègle et insaisissable. Elle me fixa de ses yeux vifs, l'eau perlant sur son pelage soyeux. Pendant un bref instant, nos regards se croisèrent, capturant la magie de cet instant. Puis, avec un glissement fluide, elle retourna dans la rivière à proximité, laissant derrière elle une trace de joie dans le calme mystique de la forêt. Mais ce moment magique ne dura qu'un temps.
Lorsque j'atteignis la ville la plus proche, la réalité me frappa une fois de plus. Mes yeux se posèrent sur une personne, de dos, concentrée sur l'étal en face d'elle. Presque comme si elle ressentit mon regard sur son cou, elle se retourna brusquement et planta ses yeux dans les miens. Pendant un instant, le reste du monde se dissipa, la foule affairée, les échoppes colorées, même la caresse du vent sur ma peau. Rien d'autre ne comptait, à part elle et moi. Quand un sourire se dessina sur son visage, une peur intense me submergea, me poussant à m'échapper à nouveau. Où que j'aille, il semblait que le destin me traquait. Cette personne, les cadres décontractés en terrasse, tout semblait me pousser vers ma décision. J'avais fui pour une raison précise, pourquoi ne pouvaient-ils pas le comprendre et cesser de me retrouver ?! je n'étais pas prête. Le serais-je seulement un jour ?
Je savais que fuir ne ferait aucune différence, que peu importait où je me rendrais, ils me traqueraient à nouveau. Pourtant, j'ai choisi de m'échapper une fois de plus. Perdue dans un tourbillon d'incertitudes, mes options semblaient limitées. Paris devenait ma destination ultime, mon dernier espoir pour trouver un moment de tranquillité et, peut-être, pour enfin prendre une décision. Face à un destin qui paraissait me pourchasser, il ne me restait qu'à faire face à mes responsabilités, même si je ne me sentais pas préparée. Parfois, il faut savoir lâcher prise, et pour moi, Paris m'offrait cette opportunité.
Il y avait une chose que je n'avais jamais osée faire dans la Capitale : monter au sommet de la Tour Eiffel. Mon vertige faisait partie intégrante de moi, et j'imaginais que le destin en était informé, me laissant espérer qu'il ne me traquerait pas jusque-là. L'ascension s'avéra tumultueuse et bien plus angoissante que tout ce que j'avais affronté auparavant. Mais le sentiment de satisfaction et de fierté lorsque j'atteins enfin le sommet était inégalé. La vue à couper le souffle m'a rappelée pourquoi je m'acharnais à rester en France malgré tout, c'était pour ces moments précieux qui en valaient la peine à mon sens.
Combien de temps ai-je passé là-haut, à contempler la ville, noyée dans mes pensées, à revivre ces dernières semaines en boucle ? les dilemmes, les choix à faire, les hésitations. Mon départ n'était pas motivé par la volonté de gagner en perspective ou de réfléchir, mais plutôt par une fuite éperdue face à mes responsabilités. Pourtant, cette échappée ne pouvait plus continuer, il me fallait à présent trancher.
— Angèle, il est temps.
Une voix derrière moi rompit le fil de mes pensées. Je me retournai et réalisai que je me retrouvais presque seule à présent, les hauteurs de la Tour Eiffel n'offrant plus autant de monde qu'auparavant. J'avais cru que le destin ne me trouverait pas si haut, mais j'avais tort. Le destin avait choisi de m'envoyer Ali, cette même personne qui m'avait souri en Bretagne. Ses courts cheveux bruns lui balayaient le front, ses yeux ne quittant pas les miens.
— Ali… Je le sais.
La main tendue d'Ali suspendue dans l'air, ses yeux fixés sur moi avec patience. J'inspirai profondément avant de saisir sa main. Elle avait raison, le moment était venu pour moi de faire un choix.
C'est avec un sourire complice que nous entamâmes notre descente de la Tour Eiffel.
Pour Alizée…
Chère Martha ! Après la descente de la Tour Eiffel, il ne nous restera plus qu'à continuer à écrire ce prompt dans notre réalité