top of page
Photo du rédacteurMartha BLK

L'Histoire de Jens Nera


Je me nomme Tepren Nasus, et je vais vous raconter l'histoire de Jens Nera.


J'ai rencontré Jens dans le bus qui nous conduisait au Centre Spatial de l'Armée. Elle était assise seule, faute de place, je me suis installé à côté d'elle. Je me suis présenté à elle en espérant que cela brise un peu la glace. Lorsqu'elle m'apprit qu'elle se rendait aussi au CSDA [1], j'ai été surpris, car elle semblait plus jeune que moi. Je lui donnais à peine 20 ans, et je ne me suis pas trompé. À cet instant-là, je ne connaissais que son prénom, et rien d'autre. C'est elle qui m'informa que deux autres personnes de notre bus allaient également au CSDA, ce qui faisait passer le chiffre de deux, à quatre. J'ai ainsi découvert qu'elle avait la même affectation que moi, la D-203. Nous nous rendions donc au même endroit.


En arrivant au CSDA, nous avons été étonnés par la taille immense du Centre. Des navettes spatiales, des vaisseaux, tout était démesuré. Beaucoup de personnel était présent, et des soldats attendaient dans les navettes pour partir vers la base spatiale. Nous étions parmi les derniers arrivants pour la matinée, alors nous nous sommes dirigés vers la barrière de sécurité sans attendre. Nous avons dû montrer nos papiers, nos attestations et nos affectations. C'est là que Jens et moi avons appris que les deux hommes qui nous accompagnaient avaient aussi l'affectation D-203. La sécurité nous a dirigé vers une navette située assez loin des autres. C'est là que nous avons commencé à discuter avec les deux autres personnes, il s'agissait de deux frères : Eder et Edel Lotha. Une fois dans la navette, nous avons pris les places restantes et attendu avec les autres pour partir de la Terre. Nous avons vu d'autres navettes décoller, la nôtre était étonnamment calme. En fin de matinée, nous avons finalement décollé en direction de la base spatiale.


Grâce à une avancée technologique majeure, nous avons atteint rapidement la base spatiale sur la Lune. Là-bas, nous avons dû présenter de nouveau nos affectations et tous nos documents. Après une heure sur la Lune, pendant laquelle nous avons reçu une collation et que le personnel a enregistré nos affaires pour le voyage. Avant de repartir, j'ai aperçu Jens en conversation avec un homme, mais je n'ai pas cherché à savoir qui il était ; après tout, cela ne me concernait pas.


Les vaisseaux qui nous ont conduits sur Mars étaient d'énormes vaisseaux pouvant accueillir une cinquantaine de personnes, sans compter le personnel. Le voyage spatial s'est déroulé avec 25 hommes et 25 femmes séparés dans une grande salle remplie de couchettes. Nos affaires avaient déjà été préalablement disposées. L'embarquement était imminent, et Jens me retrouva juste à temps.


Nous décollions enfin pour Mars.


À bord du vaisseau, l'allure était plutôt celle d'une "croisière", avec une vitesse modérée. Nous avions reçu des uniformes, mais nos supérieurs hiérarchiques étaient toujours invisibles. Seul l'équipage et le personnel nous indiquaient nos tâches à chaque fois. Ce voyage vers Mars s'est révélé assez ennuyeux, je dois l'admettre. Au cours du trajet, j'ai remarqué le tic de Jens : faire tourner une pièce dans sa main. Sinon, rien d'extraordinaire ne s'est produit, excepté qu'Edel, Eder, Jens et moi sommes rapidement devenus amis, tous impatients d'arriver sur Mars.


Une biosphère a été créée sur Mars par nos ancêtres pour la rendre habitable. Des colons terriens ont été envoyés et ont colonisé la planète. Malgré sa taille plus petite que la Terre, elle put accueillir la vie humaine. Cependant, une race d'origine inconnue a également élu domicile sur Mars, franchissant les frontières du Système Solaire Interne et Externe. Leur présence inquiéta le gouvernement martien, car ils devenaient violents envers les terriens-martiens, volant, pillant, tuant et s'armant. Pour cette raison, nous avons été envoyés sur Mars en tant que groupes d'éclaireurs, chargés de s'entraîner et de sécuriser la région où cette race d'humanoïdes avait élu domicile. Bien qu'ils soient en nombre inférieur à un million, nous, les 300 soldats envoyés sur Mars pendant plusieurs semaines consécutives, faisions partie des derniers arrivants.


Une semaine et demie plus tard, à travers les hublots du vaisseau, nous avons enfin aperçu Mars. Jens était extrêmement heureuse, comme si elle attendait ce moment depuis toujours. Elle m'avait souvent parlé de ses études sur les planètes, l'Univers et les étoiles, exprimant sa surprise devant les connaissances de nos ancêtres sur l'Univers. Mars était devenu une planète bleue et habitable, difficile à imaginer pour ceux qui la percevaient toujours comme la planète rouge. Nous ressentions de la compassion pour ceux qui avaient commencé la biosphère de Mars sans voir leur œuvre aboutir. Les Hommes du 22ᵉ siècle restaient un mystère, mais grâce à eux, Mars était désormais habitable.


Une fois sur Mars, nous avons découvert la grandeur des centres d'entraînement construits là-bas. Jens et les autres étaient excités, exprimant une joie et une excitation rappelant l'enfance. Nous avions toujours entendu des récits et vu des images de Mars depuis notre enfance, sans jamais y être venus. D'autres soldats devaient arriver dans les prochains jours, et notre plus grand questionnement était de savoir comment nous allions partager les chambres.


J'étais impatient d'arriver sur Mars, car mon frère Ader était déjà sur place. Bien que nous soyons dans la même équipe, je n'avais pas encore eu l'occasion de discuter avec Jens de sa vie privée ou de sa famille. J'ai toujours préféré attendre qu'elle en parle d'elle-même. À notre arrivée sur Mars, nous avons été répartis dans différents camps. Certains ont été envoyés au Camp 2 ou 3, tandis que nous, nous étions au 1ᵉ. Par chance, Jens et moi étions dans la même équipe (la première), tandis qu'Edel et Eder étaient dans l'équipe 2. Mon frère Ader était quant à lui au camp 1 et dans l'équipe 8.


En uniforme et en rang par équipe, nous attendions de rencontrer nos supérieurs, notamment le Général. On nous avait dit que le Général rencontrerait les équipes une par une. Jens et moi étions dans la première rangée, au garde-à-vous, lorsque le Général s'approcha enfin. Il commença son discours sur l'importance de notre mission ici, tout en marchant devant nous, s'arrêta face à Jens, lui demandant son nom et prénom.


— Nera Jens.


Le Général, tout en lui souriant, lui dit qu'il reconnaissait son visage. C'est à ce moment-là que j'appris des détails sur la famille de Jens. Le Général continua alors.


— Un père Général, un frère Lieutenant et un autre Caporal. Et vous, jusqu'où comptez-vous aller ?


— Je l'ignore, Général.


— Pour le moment.


Je ne comprenais pas pourquoi le Général exposait ainsi la vie de Jens devant nous. Il s'arrêta ensuite devant moi, me demandant mon nom et prénom, et si j'avais de la famille dans la Police Sécuritaire. Je répondis que mon frère Ader était également sur Mars. Le Général affirma le connaître et nota la ressemblance frappante entre nous. Comment le Général pouvait-il se souvenir de tout le monde ? C'est une question que je ne pus que me poser.


Après ses questions, le Général nous demanda de le suivre. Nous avons commencé à marcher, mais le Général était bien plus rapide, si bien que l'équipe 2 et le Caporal Nera pour nous rejoindre en toute tranquillité. Jens en profita pour demander au Caporal comment se déroulerait l'hébergement, avec qui nous partagerions les chambres. Il nous répondit que chacun aurait sa chambre individuelle, ce qui nous surprenait, mais seuls Jens et un autre membre de l'équipe 2 l'exprimèrent tout haut. Le Caporal expliqua que cela visait à accroître l'efficacité, mais que tout ceci fut rendu possible grâce à l'aide des colons durant la construction des Camps. Le Général, toujours en tête, demanda au Caporal de nous en expliquer davantage. Il continua en disant que le but était que nous soyons solidaires et que nous collaborions sans problème, ceci nécessitant un minimum d'intimité, et que cela était la norme sur Mars. Bien que nous partagions les repas et les salles de bains, les chambres individuelles étaient prévues pour favoriser la collaboration dans tous les Camps.


C'était la première fois que nous voyions le Caporal, et nous étions impatients de découvrir qui étaient le Sergent et le Lieutenant.


Le Général nous guida jusqu'à une grande salle où deux équipes étaient déjà au garde-à-vous. Le Caporal s'éloigna un instant pour parler à un homme légèrement plus âgé que lui, aux traits similaires. Nous ne savions pas s'il s'agissait du Lieutenant ou du Sergent, ni ne connaissions son nom. Nous nous sommes alignés avec les autres, et le Général prononça quelques mots avant de laisser la parole à cet homme. Après un échange avec le Caporal, ils partirent ensemble. L'homme se plaça devant nous et commença à parler. Je me souviens de son discours mot pour mot.


— Bonjour soldats, commença-t-il en nous observant, et en s'attardant plus longuement sur Jens, qui affichait un léger sourire. Je suis le Lieutenant Elladan Nera.


Le Lieutenant Nera, un autre frère de Jens ? En moins d'une journée, nous avions découvert qu'elle avait un père Général, un frère Lieutenant, et un autre frère Caporal, tous présents, excepté son père, sur Mars et au Camp 1. La rapidité avec laquelle nous en apprenions autant sur Jens me surpris. Je lui jetais un regard étonné, celle-ci me regarda en retour rapidement, embarrassée.


— Que vous dire, soldats ? continua le Lieutenant. Je pourrais vous faire un discours moralisateur sur votre mission ici, vous dire que vous êtes ici pour une mission bien précise et que tout faux-pas entraînera tous les autres dans sa chute.


Un silence a envahi la salle.


— Mais vous le savez déjà, et je ne suis pas là pour vous le rappeler. Vous êtes des soldats, représentant la Terre entière, et vous allez collaborer jusqu'à ce que tout soit réglé. Vous serez ici pour un certain temps, la durée est inconnue. Soldats, vous êtes une famille. Si nous apprenons à vivre ensemble, notre mission sera réussie.


Nous étions tous d'accord avec le Lieutenant, et cela se lisait dans nos yeux. Nous étions une famille.


Son discours, bien que court, fut efficace. Ensuite, il nous sépara, les femmes d'un côté et les hommes de l'autre, annonçant le début des entraînements le lendemain. Le réveil était à 6h, le petit-déjeuner à 6h30, les entraînements commençaient à 7h, le déjeuner était à 12h, et le dîner à 20h. Le couvre-feu était à 23h, nous laissant du temps libre. Nous étions libres de rater le petit-déjeuner tant que nous étions à l'heure pour les entraînements, et nous avions une grande liberté avant et après le dîner, sauf dans les zones techniques et les quartiers des supérieurs.


Le Lieutenant Nera nous confia à un guide qui nous fit découvrir chaque recoin du Camp 1 en une heure et demie. Entre-temps, nous avions croisé d'autres groupes visitant le Camp. J'ai rencontré Jens avec son groupe, et bien que nous ayons tenté de discuter un moment, nos groupes nous ont quittés sans que nous nous en rendions compte. Quand nous avons réalisé notre situation, nous avons paniqué tout en trouvant la situation risible. Nous avons tenté de les retrouver, mais n'ayant pas encore mémorisé les lieux, nous nous sommes retrouvés dans un étage désert, réalisant que nous n'étions probablement pas censés être là...


Nous étions donc là, à cet étage vide, prêts à redescendre lorsque quelqu’un sortit d’une salle au fond d’un couloir. Jens et moi nous sommes regardés, complètement paniqués, la personne ne nous avait pas encore vue et lorsqu’elle le fit, elle avança rapidement vers nous. C’était le Caporal Nera.


— Bon sang, mais que faites-vous ici ?!


L’air gêné, c'est Jens qui lui répondit.


— Hebden, nous sommes vraiment désolés, mais nous avons perdu nos groupes...


Je venais donc d’apprendre que le Caporal se nommait Hebden. Il nous dit que nous n'avions rien à faire ici, que nous ne devions absolument pas remonter à cet étage. Il ne nous en a pas voulu et nous raccompagna en bas. Il prit même la peine de nous reconduire à nos groupes, qui n'avaient même pas remarqué notre absence. Plus tard, nous fûmes conduits à nos chambres. Les femmes avaient un étage réservé et les hommes aussi.


Le soir, à 20h, nous nous sommes réunis au mess. Nous étions une bonne centaine, partageant tous le même mess et souvent les mêmes tables. J'étais assis à une table avec Eder et Edel, puis Jens nous rejoignit, et plus tard, mon frère se joignit à nous. Il fit rapidement connaissance avec les autres. Après le repas, nous sommes sortis tous les cinq à l'extérieur pour mieux visiter les lieux. La journée fut calme, mais ce n'était que le début. Avant le couvre-feu, les autres rentrèrent dans leurs chambres, et moi, je raccompagnis Jens à son étage.


Le lendemain, Jens arriva au mess en même temps qu'Eder. Nous partagions la table avec deux autres personnes de notre équipe, Théa Naïgo et Ren Sparoa, ainsi qu'une dernière de l'équipe 2, Hannon Brisa.


Quand l'heure des entraînements arriva, nous nous sommes rendus au point de rendez-vous à l'extérieur du complexe. Par équipe, nous avons été conduits aux différents lieux d'entraînement. Deux équipes partirent dans la forêt, une autre courait autour du Camp, une s'entraînait au combat avec une deuxième équipe ; quant à nous et aux trois autres, nous étions sur différents parcours. Les dix équipes du Camp alternèrent toute la matinée et toute l'après-midi. À midi, nous nous sommes tous réunis à la même table.


Mars a des journées semblables à celles de la Terre. Sa révolution autour du Soleil est plus longue, mais ses journées durent presque l’équivalent de 24 heures terrestres. Nos pauses étaient peu fréquentes, et les entraînements étaient rudes. Nous n’avions pas l’habitude d’être entraînés ainsi ; sur Terre, nous ne sommes qu'une Police Sécuritaire, ici nous sommes des Soldats. Tout était calme, l’espèce ayant élu domicile sur Mars, au même endroit que nos colons, semblait en veille.


Après le repas, nous avons repris les entraînements. Ce furent des combats au corps-à-corps pour nous. Jens s'est battue plusieurs fois contre moi, et bien que je l'aie battue à maintes reprises, j'ai eu la nette impression qu'elle n'était pas à son maximum, loin de là. Mon impression s'est confirmée après plusieurs semaines d’entraînements intensifs lorsque le Général est venu rendre visite à l'équipe 1 et nous proposa aux hommes un combat singulier contre lui. Certains hommes de l’équipe ont accepté : Ren Sparoa, Reken Brabas, Dhoy Drexfot et moi. La plupart des équipes aux alentours vinrent voir le spectacle. Le Général Dizel Jader ne paraissait plus dans la force de l’âge, mais il nous a bien surpris. Aucun de nous n’a réussi à le battre, même si Ren a bien failli y arriver. Les combats terminés, le Général nous félicita. Il comptait partir lorsque Jens intervint :


— Mon Général, êtes-vous... sexiste ? lui a-t-elle demandé, un air confus sur le visage.


Question surprenante, très surprenante, voire même osée. Le Général lui répondit que non, il ne l’était pas, et la réponse de Jens nous surprit encore plus.


— Alors, pourquoi ne vous êtes-vous pas battu contre l’une de nous ?


Jens venait clairement de lui lancer un défi, le Général eut les yeux aussi ronds que les nôtres.


— Un combat, contre l’une de vous ?


Jens acquiesça.


— Je vous lance un défi, Général Jader, battez-vous contre moi.


Qu’était-elle en train de faire ? Jens, se battre contre le Général alors que je la battais facilement ? Le Général ne sut que faire ; s’il n’acceptait pas, il serait vu comme un lâche, mais en même temps, le fait de se battre contre elle ne l’enchantait pas vraiment.


— J’accepte. Mais Nera, si je gagne, l’équipe 1 aura double corvée, dit-il avec un sourire.


— Et si je gagne ?


— Si vous gagnez ? L’équipe 1 sera dispensée de corvée pendant une semaine martienne, Nera.


Dispensé de corvée ou en avoir le double, notre choix était fait : Jens devait gagner. Notre équipe et les autres se mirent à encourager Jens et le Général Jader. Curieux de ce qu’il se déroulait, d’autres personnes vinrent voir, dont le Caporal et le Lieutenant Nera. Ils arboraient un étrange sourire, comme s’ils connaissaient déjà l’issue du combat. Ils regardaient leur sœur avec fierté.


Les deux combattants prirent place, le combat débuta rapidement, encouragés par nos cris. Jens enchaînait les coups, tout comme le Général. Mais la façon d’enchaîner les coups de Jens semblait très différente de ceux qu’elle avait usés contre moi. Il y avait plus de hargne et moins de retenue. Le Général semblait avoir un peu plus le dessus, puis Jens lui asséna un coup de pied dans le ventre ; il se tordit, puis elle lui lança :


— Général, je vois que vous retenez vos coups, mais je vous préviens, moi non.


— Alors je ne les retiendrai plus, mais ce sera à vos risques et périls, répliqua-t-il avant de s’élancer vers elle.


Il avait une technique de boxeur, privilégiant la force à la sagesse. Droite, gauche, coups de pieds, il visait le corps de Jens, pas son visage ; il ne souhaitait pas blesser ses soldats. Jens, quant à elle, et bien, je ne saurais le dire. Je ne saurais décrire la technique de combat de Jens Nera. Je n’ai jamais réussi à identifier une quelconque logique dans l’enchaînement de ses coups, en tout cas elle se défendait très bien.


Le combat durait déjà depuis quelques minutes. Je regardais sans cesse le Caporal et le Lieutenant afin de discerner de l’inquiétude dans leurs yeux, mais non, rien de cela, bien au contraire, il n’y avait que de l’amusement et de la confiance. Leur sœur se faisait battre, mais ils ne s’en inquiétaient pas.


Nous étions tous certains que le Général gagnerait lorsque l’impensable se produisit. Jens mit le Général à terre après avoir produit un enchaînement complètement insensé qui aurait mis le plus balèze d’entre nous au sol. Le Général à terre, Jens vint se placer devant lui et lui dit :


— Alors, Général ?


Jens avait battu le Général, celui qui a mis la moitié des hommes de l’équipe 1 au sol en un rien de temps. Mais comment avait-elle fait ? Néanmoins, j’eu la confirmation que Jens retenait grandement ses coups lorsqu’elle se battait avec moi, et sur le moment, j’en fus bien heureux. Le Général la regarda aussi étonné que nous. Seul le silence se fit entendre.


— C’est bon, Nera, vous avez gagné, dit-il en se relevant.


Jens arborait un sourire triomphant. Le Général ajouta :


— L’équipe 1 est dispensée de corvée pendant une semaine.


Des cris de joie, voilà ce qu’entendit le Camp 1. Nous nous précipitèrent vers Jens afin de la féliciter. J’ai regardé vers le Caporal et le Lieutenant une nouvelle fois, ils avaient le même regard et le même sourire qu’avant le combat, ils savaient d’avance comment cela allait se terminer.


Avant de les rejoindre, le Général dit quelques mots à Jens, qui m’en fit part par la suite. Il lui dit qu’elle avait fait honneur à l’équipe, qu’il ne dénigrerait jamais plus un seul soldats, homme ou femme, des Camps, et surtout, qu’elle méritait de porter le nom de « Nera ». Elle en avait été fière et pratiquement émue.


Le Général nous dit que la récréation était terminée, alors nous retournâmes à nos entraînements, pas peu fiers de l’exploit de Jens. Le Général se rendit ensuite vers le Caporal et le Lieutenant, et parlèrent sans doute du combat. Jens par la suite m’apprit ce qu’ils s’étaient dit, car son frère le Caporal Hebden lui en avait fait part.


Le soir au mess, on n'entendait que l'équipe 1. Nous n'arrêtions pas de féliciter Jens et surtout de la remercier. Pour une fois, nous mangions avec notre équipe ainsi qu'Eder, Edel, Ader et Hannon. Nous étions contents mais à la fois surpris des capacités cachées de notre coéquipière.


C'est plus tard dans la soirée, alors que j’étais assis avec Jens dehors, elle me raconta la conversation qu’avaient eue le Général, le Lieutenant et le Caporal.


— Je ne savais pas que votre sœur se battait si bien, dit le Général.


— C’est un de ses talents cachés, rigola le Lieutenant.


— Les rares fois où je l’ai vue se battre avec Tepren Nasus, il la battait, du moins il avait le dessus.


— Tepren est son ami, elle retient ses coups avec lui, intervint le Caporal.


— J’étais persuadé que j’allais la battre comme pour les autres.


— Vous en avez les capacités, dit le Caporal.


— Alors comment a-t-elle pu me battre si je la surpasse ?


— Jens a toujours dit qu’elle ne pouvait être la plus forte, la force elle en a mais pas assez, et pour compenser cette faiblesse elle a privilégié l’agilité et l’intelligence. Privilégier ce qu’elle a pour compenser ce qu’elle n’a pas, répondit Elladan.


— Je vois, mais il y a autre chose qui m’a pour le moins surpris. J’ai cherché une technique car il y en a toujours une, des coups semblables dans un ordre logique mais je n’ai rien trouvé de tel chez Jens.


— Jens n’a pas de technique à proprement parlé, elle pense que c’est en en ayant une qu’on se fait battre facilement. En vous combattant, elle vous a analysé. Vous avez une technique de boxeur et elle l’a utilisé contre vous.


— Votre sœur est intelligente, Lieutenant, mais il y a autre chose, je n’ai pu reconnaître que très peu d’arts martiaux, comment cela est-il possible ?


— Ça, Général, c’est parce que Jens connaît plus d’arts martiaux que la moitié de ce camp réuni. Elle a toujours été proche de notre père, il lui apprit la plupart de ce qu’elle connaît aujourd’hui, mais le reste elle l’apprit en autodidacte, répondit Hebden.


— Et bien je m’avoue vaincu par un soldat qui fait le tiers de mon âge.


Le Général rigola et la conversation prit fin. Jens me parla plus longuement de sa vie et des raisons qui la poussaient à cacher ses « talents » de combattante. L’Homme est pacifiste, mis à part dans la Police Sécuritaire, les terriens n’ont plus aucune raison d’apprendre à se battre.


La semaine se poursuivit sans corvée pour nous mais avec toujours autant d’entraînements. Nous étions tous plus performants chaque jour. Jens faisait partie des premiers, je la talonnais difficilement. Tous les six (Jens, Hannon, Eder, Edel, Hannon, Ader et moi) étions devenus comme une famille, nous étions très unis. À vrai dire, les différentes équipes et les Camps étaient comme une grande famille. Les supérieurs nous appréciaient beaucoup. Il n’y avait eu aucune alerte, les colons et la race inconnue semblaient se tenir tranquilles. Mars était calme. Mais cela ne dura pas.


C’était en pleine journée, l’équipe était tranquille, nous faisions une course entre nous lorsque soudain, nous avons entendu un grand bruit provenant de derrière les Camps. C’était très fort, cela nous surprit, nous savions que ce n’était pas naturel. Nous nous sommes tous arrêtés et avons regardé aux alentours. L’équipe 4 qui se trouvait non loin de nous fit de même. Deux minutes après, une fumée noire s’éleva dans le ciel, et les alarmes retentirent. Nous nous sommes regardés et automatiquement nous nous sommes rendus au point de rendez-vous en courant. Nous étions tous en place lorsque nos supérieurs arrivèrent. Le Général nous expliqua rapidement en quoi consistait la mesure d’urgence, deux équipes de chaque Camp seraient envoyées sur place. Avant même qu’il ne désigne les équipes, la 1 et la 2 se portèrent volontaires.


— Nous avons nos deux équipes, suivez-moi, ordonna-t-il. Quant aux autres, tenez-vous prêts à intervenir.


Mon frère me regarda inquiet, il devait me faire confiance, je reviendrais. Nous nous sommes mis en tenue de combat puis nous nous sommes réunis en salle d’armement. Nous étions armés de fusils et de grenades. C’était tellement… étrange. Aucun d’entre nous ne portait de vraies armes lorsque nous étions sur Terre, la guerre était si loin de nos pensées. Rien de tel ne serait arrivé sur notre planète. Mais nous devions éliminer nos doutes, les colons avaient besoin de nous. Mars avait besoin de nous.


Le Lieutenant Nera vint également nous rejoindre en tenue, annonçant qu'il dirigerait les six équipes. C'était notre première sortie du Centre, et l'idée que nous avions de cette expérience était bien loin de la réalité actuelle. Les quatre équipes des Camps 2 et 3 se sont jointes à nous, mais c'est le Lieutenant Nera qui supervisait l'opération en raison de sa qualification. Nous nous sommes dirigés vers la fumée, traversant les villes martiennes à l'aspect rural, conformément aux souhaits des Anciens pour la préservation de la biosphère. Le gouvernement martien et terrien avait respecté cette volonté au fil des siècles.


Marchant en file, le Lieutenant guidait le groupe, et nous avons finalement atteint la ville bombardée. Un champ de ruines s'étendait devant nous, créant une vision d'horreur. C'était un acte de guerre, une réalité brutale. Ce genre de scène ne s'était pas produit sur Terre depuis des siècles, même durant la Grande Révolte, ce ne fut pas si violent. Maintenant, nous, simples membres de la Police Sécuritaire, étions confrontés à la perspective d'une guerre. Nous devions reprendre nos esprits.


Le Lieutenant nous ordonna de patrouiller pour rechercher d'éventuels blessés, et nous nous sommes séparés en groupes de trois. Ren, Jens et moi avons pris une direction, tandis qu'Eder, Edel et Théa Naïgo de notre équipe, étaient visibles non loin de nous. Les autres groupes s'éloignèrent rapidement, et le groupe de Théa disparut de notre vue. La ville était déserte, les habitants soit morts, soit ayant fui je ne sais où. Seule la mort semblait régner parmi nous. À un moment donné, Jens, qui marchait devant nous, tourna derrière une maison. Quand nous la rejoignîmes, ce que nous avons découvert nous surprit.


J'ai d'abord regardé Jens, qui était prête à tirer, l'arme levée en position défensive. Cela n'a duré qu'une seconde avant que Ren et moi ne tournions notre attention vers ce qu'elle fixait. Devant nous se trouvaient trois humanoïdes armés de manière différente de nous, mais ils avaient leurs armes baissées et nous observaient.


— Lâchez vos armes immédiatement ! Au nom du Gouvernement Martien et Terrien, je vous ordonne de lâcher vos armes, déclara Jens.


Ils nous regardèrent, mais au lieu d'obtempérer, ils commencèrent à relever leurs armes.


— Lâchez vos armes !


— Jens, je n'pense pas qu'ils vont le faire, intervins-je.


— Il faut prévenir les autres.


— Et comment ? Nous n'avons pas de radio ! s'emporta Ren.


Après les paroles de Ren, Jens leva son arme vers le ciel et tira. Cela nous fit sursauter, ainsi que les humanoïdes.


— Pas besoin de radio quand on a nos armes !


Plus tard, on nous rapporta que tous les autres groupes avaient cherché qui avait tiré et d'où provenaient les tirs, et c'était l'effet escompté. Pendant que les autres nous cherchaient, nous avons tenté de faire reculer les ennemis. Jens tira une seconde fois, mais cela ne changea rien, ils ne réagirent plus. Devenant de plus en plus menaçants, nous sentions le danger monter. J'ai pris Jens par le bras, fait passer Ren devant moi, et nous avons commencé à courir loin d'eux. Ils commencèrent alors à tirer dans notre direction, et nous avons juste eu le temps de nous mettre à couvert. Une fusillade à sens unique s'ensuivit. Nous nous contentions d'éviter les lasers provenant de leurs armes.


Lorsque le Lieutenant et les autres équipes entendirent la fusillade, ils se précipitèrent vers nous. Avant qu'ils ne nous voient à couvert, ils ignoraient quel groupe était sous le feu. Nous avons essayé de riposter, mais au moindre geste, nous aurions été touchés par un laser. Quand ils arrivèrent, ils commencèrent à tirer en direction de l'ennemi, qui finit par fuir hors de portée.


— Vous allez bien ? Vous êtes blessés ? demanda le Lieutenant.


J'ai regardé Jens et Ren, puis lui ai répondu que nous allions bien, que nous n'étions pas blessés. Après cette altercation, nous avons repris les recherches et n'avons trouvé que des villageois morts... Par chance, beaucoup d'entre eux s'étaient cachés dans les sous-sols. Le Lieutenant Nera fit son rapport par radio aux Généraux. Il fut décidé que deux équipes par Camp feraient des tours de garde, se relayant toutes les trois heures. Nous rentrèrent au Centre, croisant deux autres équipes en chemin, accompagnées du Caporal Thrawbac du Camp 2.


Les rondes se poursuivirent pendant les semaines qui suivirent, les humanoïdes ne purent être identifiés et ne donnèrent aucun signe de vie jusqu'à présent. Il y a également eu un nouvel arrivant de la Terre, monsieur Felis Kareg. Affréter une navette pour un seul passager était un manque de discernement flagrant.


Kareg, un bureaucrate envoyé par le Président pour surveiller les Généraux, était un administratif qui n'avait jamais porté d'arme et n'avait jamais été en charge de la protection des autres. Il n'avait jamais fait face à la mort. Son accueil au Centre fut des plus hostiles. Logeant dans le Camp 1, à chaque rencontre avec des soldats, ceux-ci lui lançaient des regards pleins de mépris, Jens et moi compris. À nos yeux, il n'avait rien à faire ici. L'Ambassadeur Ayres avait confiance en nous, mais le Président semblait ne pas partager cet avis. Kareg contrôlait les gestes et les décisions des Généraux, et observait attentivement les soldats pour vérifier si nous exécutions les ordres qui nous étaient donnés.


Les rondes se poursuivirent pendant un mois terrestre, et Kareg ne mit jamais les pieds à l'extérieur du Centre. Cependant, comme toujours, quelque chose vint perturber ce calme fragile.


Un matin, notre équipe et la 2 entamions nos rondes en compagnie des équipes 9 et 10 du Camp 3, qui avaient prolongé leur ronde avec nous. Nous discutions tranquillement lorsque l'impensable se produisit. Au loin, une armée d'humanoïdes, armée jusqu'aux dents, fut remarquée par Brozelice Pitus et Nawon Mirpo de l'équipe 9. Ils nous crièrent que nous allions être attaqués. Jens réagit immédiatement et activa le système d'alarme récemment installé. Nous n'étions que 40 face à toute cette armée. Les villageois se réfugièrent dans les sous-sols en moins de cinq minutes, laissant le village désert, à l'exception de nous.


Nous nous attendions à ce moment, c'est pourquoi nous nous étions entraînés si durement. Nous pensions être prêts à affronter l'assaut. Les Camps devaient avoir reçu l'alerte et être en train de se préparer. Nous observions l'armée avancer lentement vers nous, formant deux lignes de défense. Le temps semblait s'étirer, chaque seconde devenant une éternité. Nous étions prêts à donner nos vies pour nos colons. Jens et Ren réalisèrent que ce n'était pas une bonne stratégie, que nous étions trop exposés. Nous acquiesçâmes, ils avaient raison. Nous nous mirent à couvert autant que possible, armes pointées vers les ennemis. Le temps sembla s'arrêter lorsque, d'un coup, les humanoïdes ouvrirent le feu sur nous. En bons soldats, nous avons riposté, et les humanoïdes se mirent à leur tour à couvert autant.


Nous devions tenir jusqu'à l'arrivée des renforts. C'est après une dizaine de minutes qu'ils arrivèrent. Nous avions tiré, encore et encore, pendant une longue heure. Lorsque les humanoïdes approchaient trop près de nous, nos entraînements nous ont permis de les mettre à terre. Quelle sensation horrible que de prendre la vie. Bien qu'ils fussent nos ennemis, ne cherchant que la mort de nos colons, nous, Terriens, étions chargés de leur ôter la vie. Jamais nous n'avions été confrontés à une telle responsabilité. Nous n'avions pas de pertes de notre côté pour le moment, mais les blessés commençaient à s'accumuler.

Les heures s'écoulèrent aussi rapidement que le vent, et les blessures n'étaient que superficielles. La ligne de front évoluait sans cesse. Après trois heures de combat, Jens fut blessée à la jambe. Bien que ce ne fût pas très grave, elle était immobilisée, et il était impératif qu'elle remonte au Centre. Je me portai volontaire, mais Gwendal Utgen, un membre de l'équipe 2, me demanda de rester en raison du danger élevé. Il assura qu'il guiderait Jens, tandis que Dame Rakur, de notre équipe, légèrement blessée également, l'aiderait à courir. Ce qui se passa ensuite fut narré par Gwendal.


Traversant le champ de bataille, Gwendal tirait sporadiquement pour dissuader les ennemis. Jens courait tant bien que mal, se tenant la jambe, et Dame la soutenait. Je ne pus cacher mon inquiétude pour eux. Ils avançaient péniblement, et si Gwendal n'était pas parti avec elles, Jens et Dame auraient probablement perdu la vie. Lorsqu'ils atteignirent le Centre, c'était l'effervescence. Un médecin les conduisit dans une salle, soigna la jambe de Jens et le poignet de Dame, puis retourna aider d'autres blessés. Ils étaient assis au sol, écoutant le tumulte. Quelques minutes plus tard, le Général Jader et le bureaucrate Felis Kareg vinrent les voir. Le Général voulait comprendre la situation.


— Repos, soldats, leur dit-il. Nera, Dame, comment allez-vous ?


— Ça va, Général. La douleur est présente, mais ça ira, répondit Jens.


— Ce sera vite soigné, dit Dame à son tour.


— Attendez, vous étiez obligés de venir à trois ? intervint Kareg.


— Silence, Kareg, ordonna le Général.


Gwendal me dit qu'il reçut quatre regards noirs de leur part.


— Vous devriez retourner là-bas combattre.


— La ferme, Kareg, répliqua Dame.


— Soldat.


— Pardon, Mon Général.


— Vous auriez dû rester là-bas et les laisser, railla Kareg.


C'en était trop pour Gwendal, qui se leva.


— Si j'étais resté là-bas, elles ne seraient jamais arrivées ! Vous n'êtes qu'un bureaucrate, un administratif qui n'a jamais eu à prendre la décision d'ôter la vie. Comment osez-vous dire quoi que ce soit ?! Vous n'avez jamais mis les pieds sur un champ de bataille. Vous ne savez pas ce que ça fait pour des terriens de combattre. Quand vous serez allé vous battre aux côtés de mes amis, je vous laisserai me faire des remarques.


Felis Kareg était furieux. Il lança un regard au Général, mais celui-ci esquissa un sourire. Jader l'ignora. Il leur dit qu'on s'occuperait d'eux et sortit, Kareg sur ses talons. À peine furent-ils sortis de la pièce que Felis se plaignit. Gwendal se leva et écouta leur conversation à travers la porte entrouverte.


— Un sourire ? C'est tout ce que vous avez trouvé à faire ? Vous n'avez même pas pris la peine de prendre mon parti.


— Et pourquoi l'aurais-je fait ? demanda le Général.


— Mais enfin, vos soldats n'ont pas respecté leur supérieur !


— Mais c'est normal, Kareg. Vous n'êtes pas leur supérieur. Vous n'êtes qu'un administratif que le Président a envoyé ici pour je ne sais quelle raison. Utgen a eu raison de vous dire cela, vous n'avez jamais mis les pieds là-bas, vous ne savez pas ce que c'est que de combattre.


— Mais vous non plus, Général. Vous n'êtes pas allé combattre.


Le Général lui lança un regard de feu.


— Contrairement à vous, Kareg, je suis déjà allé sur un champ de bataille, il y a bien longtemps lors de la Grande Révolte. J'ai combattu aux côtés de soldats aussi courageux que ces trois-là, des soldats qui donneraient leurs vies pour sauver celles des autres, la vôtre y compris. J'ai vu des amis se faire tuer sous mes yeux, j'ai vu des soldats se sacrifier pour la Liberté, et aujourd'hui, je m'efforce de garder mes soldats en vie. Quand vous serez allé vous battre à leurs côtés, Kareg, je vous laisserai me faire des commentaires, mais aujourd'hui, je ne vous le permets pas. Est-ce clair ?


— Oui, Général.


Jens, Dame et Gwendal se retrouvèrent ensuite seuls une vingtaine de minutes. Un infirmier est venu soulager la douleur de Jens et Dame. Sur le champ de bataille, nous avions réussi à repousser les humanoïdes, puis nous sommes remontés en portant nos derniers blessés qui n'avaient pu être évacués. Deux équipes sont restées en tant que patrouilleurs.


Au Camp, nous avons été pris en charge. Personnellement, je n'avais que de légères coupures, alors je me suis mis à chercher Jens, Dame et Gwendal. Je suis allé les retrouver. Jens me dit que sa blessure n'était pas grave et qu'elle serait rapidement de retour sur le champ de bataille, ce qui était également le cas pour Dame. Je me suis assis avec eux, et ils m'ont raconté ce qu'il s'était passé avec Felis Kareg. À mon tour, je leur ai relaté ce qu'il s'était passé en bas. Nous entendions l'agitation de partout, puis un peu plus tard, le Lieutenant et le Caporal Nera vinrent nous rejoindre. Ils s'assirent alors avec nous et nous demandèrent comment nous allions.


La guerre contre ces humanoïdes était loin d'être finie, et je ressentais comme un mauvais pressentiment, comme si le malheur ne faisait que commencer.


Nous sommes restés ainsi durant une heure à discuter, puis le Lieutenant et le Caporal dûrent sortir, et nou,s nous sommes allés auprès du reste des soldats. Aucun mort n'était à déplorer. Nous sommes restés un moment à l'infirmerie avec Edel, Eder, Ren, Théa, Hannon et Ader. Nous n'avons jamais été aussi fatigués de toute notre vie... Le repas fut silencieux, la plupart des soldats n'avaient pas mangé et étaient allés directement dormir. Jens et moi sommes ensuite allés dehors. Elle arrivait à peine à marcher mais ne souhaitait pas de béquilles. Nous nous sommes assis et avons discuté. Elle semblait pensante.


— J'ai comme un mauvais pressentiment, Tepren, comme si quelque chose de douloureux allait nous tomber dessus.


Alors, elle aussi, elle ressentait ça ?


— Et si je te dis que je ressens exactement la même chose, qu'en penses-tu ?


— Que ce n'est pas normal. Tepren, quelque chose va arriver, quelque chose de vraiment moche. Les humanoïdes vont revenir, et cette fois il y aura des morts.


Elle tremblait et semblait perturbée. J'ai tenté de la rassurer en lui disant que tout se passerait bien. Mais intérieurement je savais que Jens avait raison, que quelque chose allait nous tomber dessus, et que cette fois, ce serait bien pire. La fin était proche, et tout le monde pouvait le sentir.


Les renforts terrestres avaient été envoyés, ils étaient bientôt en route. L'Ambassadeur Ayres avait tout mis en œuvre pour nous les envoyer à temps. Les entraînements et les tours de garde reprirent pour ceux qui pouvaient bouger. Jens ne le pouvait encore, mais après trois semaines d'immobilité, elle put enfin reprendre. La Police Sécuritaire était notre famille, et les soldats étaient nos frères et sœurs ; nous pouvions compter les uns sur les autres.


Les semaines étaient calmes, mais Jens ne cessait de me répéter que ce n'était que le calme avant la tempête. Je me refusais de croire à l'idée que nous puissions perdre des amis. Je ne savais pas ce que Jens ressentait, mais elle semblait à moitié consciente de la réalité. J'eus l'occasion de parler à ses frères de ses intuitions, et ils me dirent que ses intuitions s'avéraient souvent juste.


La guerre était à nos portes, les humanoïdes étaient prêts au combat, et les colons furent évacués vers des lieux plus sûrs. Enfin... une nouvelle bataille allait commencer. L'alarme fut déclenchée, et les soldats furent dépêchés sur la zone de combat. Le pire était à venir...


Encore une bataille, celle-ci fut plus intense que la précédente. Les humanoïdes étaient au sommet de leur puissance, tandis que nous, nous nous efforcions de le paraître. Cette partie de l’histoire reste la plus difficile…


Nous n'étions pas engagés dans un combat au corps-à-corps, mais fusils contre fusils. Notre ligne était composée d'Edel, Eder, Ren, Hannon, Théa et Ader, toujours eux, jusqu'au bout. Jens se trouvait à ma droite, tirant sur ceux qui tentaient de s'approcher, mais elle semblait toujours ailleurs. À ma gauche, Hannon était en embuscade, arme au poing, tirant sur tout ce qui bougeait. Nous sommes restés ainsi pendant des heures. Mais les humanoïdes réussirent à avancer, transformant le combat en affrontement rapproché, ce que nous redoutions.


Trois cents soldats, avec les Lieutenants, Sergents et Caporaux des trois Camps, se battaient avec nous. Seuls les Généraux n'étaient pas encore là, supervisant depuis le Centre. C'est plus tard qu'ils nous rejoignirent, apportant davantage d'armes. Nous avons réussi à faire reculer les humanoïdes, mais au moment où nous pensions enfin avoir l'avantage, l'impensable se produisit. Les ennemis larguèrent des bombes au milieu des soldats. La panique et l'agitation me firent perdre Jens et les autres de vue. Je me suis retrouvé au milieu du champ de bataille, debout, à regarder autour de moi, essayant de retrouver mes amis, mais la poussière et la fumée masquaient ma vue.


Soudain, un ennemi me saisit par le cou, et je tombai à la renverse. Il essaya de m'étrangler, mais je parvins à le faire lâcher prise. Je me battais comme je le pouvais, mais un deuxième ennemi arriva. Je me défendis comme je pus, et quand ma mort sembla inévitable, Jens surgit de nulle part pour m'aider. Ensemble, nous parvînmes à les battre.


— Jens, tu m'as sauvé la vie.


— Avec plaisir, me dit-elle avec un sourire.


— Attention ! criais-je en jetant Jens et moi à terre.


Un de nos ennemis venait de nous tirer dessus. Nous nous sommes réfugiés derrière les vestiges de ce qui fut une maison. La poussière et la fumée masquaient toujours notre vue. Je fis un signe à Jens, signifiant que je ferais diversion pendant qu'elle l'attaquerait par derrière. Ce que nous avons fait. Ce fut un succès. Jens et moi formions une bonne équipe… Pendant les heures qui suivirent, nous avons essayé de retrouver nos supérieurs ou tout autre soldat. Nous n'entendions que des tirs et des bombes qui tombaient tout autour de nous. Nous ne voyions que des ennemis. Finalement, nous avons fini par avoir l'avantage. Les humanoïdes battaient en retraite. La plupart des soldats étaient remontés aux Camps.


C'était tellement calme. Aucune vague, plus aucun mouvement. Un calme sidéral régnait sur le champ de bataille. Jens se tenait à quelques mètres devant moi, armes au poing, scrutant attentivement les environs. Nous ne voyions plus personne. Peut-être étions-nous les derniers, entourés de morts… Je la regardais de là où j'étais, mon arme en main. Je me rappelle m'être dit que nous étions enfin tranquilles, que nous allions remonter au Camp rejoindre les autres, mais j'ai eu tort.


Jens me regarda en souriant, ses cheveux bruns coulant le long de ses épaules et ses yeux bleus luisant, signifiant que les humanoïdes étaient enfin partis quand…


…un flash atteignit son ventre. Je la regardais, et elle me regarda sans comprendre. Je me mis à hurler aussi fort que je le pus, de toutes mes forces. J'abattu sans attendre le dernier humanoïde encore vivant sur le champ de bataille. Je vis Jens tomber à la renverse comme une vulgaire poupée. Je me suis précipité vers elle, son pressentiment s'était révélé exact, le pire venait d'arriver… Je me mis à pleurer, et elle aussi. Je lui ai dit que tout allait bien se passer et que nous allions remonter là-haut avec nos amis. Elle ne put me dire que quelques mots… Je la regardais dans les yeux, elle me regarda en retour.


— Tepren…


Je savais que je ne pourrais pas la sauver.


— N'aie pas peur Jens, j'suis là, lui dis-je, les larmes roulant sur mes joues. J'suis toujours là, je n'te laisserai pas.


— Pardon… El-Elladan... Heb... tu... tu leur diras... me répondit-elle en pleurant.


La flamme si vive que j'avais vue dans ses yeux depuis notre rencontre dans le bus s'éteignit subitement. Je ne voulais pas croire que Jens venait de périr. Je pleurais, la tête sur son ventre. J'avais son sang partout sur mes bras et mes vêtements. Jamais une mort n'avait été aussi douloureuse que la sienne. Je ne pouvais me résoudre à la laisser là, les yeux encore ouverts. Je la pris dans mes bras et commençai à remonter. J'étais blessé à la jambe, mais cela m'était égal.


J'ignore le temps qu'il s'écoula du moment où Jens mourut à celui où j'arrivai au Camp, mais le champ de bataille était à présent désert. L'infirmerie était bondée, et lorsque j'y pénétrai avec le corps de Jens dans mes bras, les soldats et les médecins me regardèrent. Il n'y eut plus un seul bruit. Tout le monde nous avait crus morts, c'était comme tel. Je pleurais, fixant Ader qui était assis avec les frères Lotha. Je vis dans leurs yeux une peine immense, aussi grande que la mienne. Derrière, Théa se mit à pleurer.


Un infirmier et Gwendal accoururent vers moi. Il prit Jens en me disant qu'il s'occuperait d'elle. Il partit dans une petite salle adjacente accompagné d'un médecin. Quant à moi, on m'installa à côté de mon frère, et on me soigna la jambe. Comme un parfait grand frère, Ader me prit par les épaules et posa ma tête sur son épaule, comme lorsque nous étions enfants. Je n'avais toujours pas parlé, et les larmes continuaient à rouler le long de mes joues. Je fixais mes bras pleins du sang de Jens. Nous restâmes ainsi un long moment, bercés par les pleurs de Théa et quelques autres. Puis le Caporal Hebden entra. Il était plein de poussière et blessé à la tête.


— Où est Jens? demanda-t-il.


Il ne reçut aucune réponse. Alors il regarda chaque visage, puis s'arrêta sur le mien. Mon regard en dit long, les yeux pleins de larmes, je le regardais, puis me tournai vers l'endroit où reposait sa sœur. Il comprit.


— Non… pas elle… murmura-t-il.


J'abaissai les yeux, et il se précipita vers la salle, Gwendal et le Sergent Peïa Thegrine le suivirent. le Caporal n'avait de cesse de pleurer. Cela me retourna l'estomac… Il lui caressait les cheveux. C'est Gwendal qui lui ferma les yeux. Puis le Caporal se retourna et vit le Général Jader allongé. Lui aussi n'avait pas survécu. Au Camp 1, quatre personnes étaient décédées, au Camp 2, trois, et au Camp 3, cinq. Douze morts sur 300, cela pouvait paraître dérisoire, mais pour nous, Terriens, c'était déjà beaucoup.


— Où est Elladan? Où est mon frère Peïa?


Elle ne répondit pas.


— Porté disparu monsieur, personne ne sait où il est, répondit Gwendal.


— Formez une équipe de recherche, je veux des volontaires, vous me le trouvez, Soldat.


— Le Lieutenant Nera est porté disparu, je veux des volontaires pour le retrouver, c’est un ordre du Caporal, nous dit Gwendal en revenant dans l’infirmerie.


Des mains se levèrent, et l'équipe ainsi formée partit à la recherche du Lieutenant. À peine étaient-ils sortis que le Général Sawen An du Camp 2 entra.


— Où sont vos Supérieurs? demanda-t-il.


Nous lui indiquâmes la salle adjacente, mais au même instant, la Sergent Thegrine en sortit.


— Où est le Général Jader?


— Mort, monsieur…


— Où… où sont le Lieutenant et le Caporal ?


— Le Lieutenant est porté disparu, le Caporal est dans la salle avec sa sœur, lui dit-elle.


— Je suis vraiment navré pour le Général et le Lieutenant, répondit-il, dévasté, faites venir le Caporal, avec sa sœur s’il faut.


— Général, sa sœur est morte…


— Oh… J’en suis terriblement navré… Mais, il faut qu'il vienne quand même.


Bien qu'à contre-cœur, Peïa Thegrine alla chercher le Caporal Nera. Ils revinrent quelques secondes plus tard. Le Caporal avait les yeux rouges.


— Le Général étant mort, sachant que le Lieutenant est porté disparu, j’en suis vraiment désolé, c’est à vous, Sergent, que revient le rôle de Général, vous êtes la plus haute gradée.


— Quoi ? Non, je suis désolée, je ne le peux, je… j’en suis incapable ! dit-elle paniquée.


— Si vous ne le pouvez, Caporal?


— J’accepte, répondit celui-ci la gorge nouée.


Puis tous trois sortirent. Nous, nous restâmes là quelques instants encore, puis on nous expédia aux salles de repos. Tout du moins, ceux qui pouvaient marcher.


Je m'étais lavé et changé, mais j'avais toujours cette impression d'avoir le sang de Jens sur mes mains. J'ai rejoint les autres en salle de repos sans prononcer un mot. Puis, d'un seul coup, alors que nous étions assis, je n'ai pu retenir mes larmes. La culpabilité de ce qui était arrivé à Jens me pesait tellement, bien que les autres tentaient de me rassurer en affirmant que ce n'était pas ma faute, que je n'aurais rien pu faire. Ader essaya de me réconforter en me disant que tout irait bien à présent. Pendant ce temps, l'équipe de recherche avait retrouvé le Lieutenant. Il était en vie mais mal en point, toujours inconscient. Le Caporal, désormais le Général Nera, alla le voir. Les renforts terrestres n'étaient toujours pas arrivés, et une nouvelle bataille se préparait. Il semblait que ces humanoïdes disposaient sans cesse de nouvelles troupes.


Nous dûmes nous préparer à une nouvelle attaque. Étant blessé, je ne pouvais participer au combat. D'autres comme moi ont dû rester au Centre. La Sergent Thegrine resta avec nous, mais le Général Nera se rendit sur le champ de bataille. La Sergent dirigeait les troupes d'ici. Encore des heures passèrent à entendre les tirs, les fusillades, et à s'inquiéter pour nos frères et sœurs. Une nouvelle fois, ils repoussèrent les humanoïdes au prix d'une vie, et pas des moindres... Hebden Nera avait donné sa vie pour sauver celle d'un soldat aux prises d'un ennemi. Quelle ironie, nous qui pensions que ce serait le Lieutenant Nera qui périrait des suites de ses blessures. C'est finalement son frère Hebden qui est décédé. Nous savions que lorsque le Lieutenant se réveillerait, il demanderait des nouvelles de sa fratrie, et personne n'avait envie d'être là quand ça arriverait. Lorsqu'il apprendra que tous deux étaient décédés, il en sera dévasté... Nous-mêmes l'étions.


Le Lieutenant se réveilla, et aucun d'entre nous n'éprouva le désir de lui annoncer la mauvaise nouvelle ; c'est le Sergent Thegrine qui s'en chargea. Quand elle lui annonça, nous entendîmes clairement son hurlement. La douleur était telle que je revis Jens sur le champ de bataille...


Quelques heures plus tard, lorsque le Lieutenant fut sur pieds, j'entendis le Sergent lui parler.


— Je suis désolée Elladan, j'aurais dû être à sa place, mais j'ai refusé le titre de Général.


— Peïa, ce n'est pas ta faute, ne t'excuse pas, répondit-il en la prenant dans ses bras.


Par la suite, je me rendis dans la salle où reposait Jens ainsi que nos morts, le Général Jader et nouvellement le Caporal Nera y étaient installés. Une salle emplie de douleur. Je parlais à Jens, elle était si pâle et avait la main si froide... Le Lieutenant, devenu le Général, entra, ce qui me fit sursauter.


— Je ne m'attendais pas à vous voir, me dit-il.


— J'en suis désolé.


Nous sommes restés là un moment. Lui, regardait son frère, et moi, Jens.


— On m'a dit ce qui est arrivé. Vous l'avez vu mourir sous vos yeux et vous nous l'avez ramené alors que vous étiez blessé.


Je ne répondis rien, m'apprêtais à sortir lorsqu'il m'interpela de nouveau.


— Tepren, ce n'est pas votre faute, vous ne pouviez rien faire. C'est cruel, mais la vie est ainsi, elle avait signé en dépit du risque. Jens savait ce qui pouvait arriver. Tous les deux le savait.


Nous nous regardâmes dans les yeux, puis il se tourna vers Jens et lui prit la main.


— La guerre a assez duré, les renforts sont arrivés même si j'aurais préféré qu'ils arrivent plus tôt. Trop de morts sont à pleurer. Tepren, il est temps d'arrêter ce massacre et de... de venger nos morts, de venger mon frère et ma sœur. Êtes-vous prêt à me suivre pour la dernière bataille ?


Il me regarda, et je lui répondis que oui, je l'étais .


Nous et les renforts terrestres nous sommes armés, nous sommes partis pour arrêter une bonne fois pour toutes les humanoïdes de Mars, les faire fuir hors des frontières du Système Solaire. La Dernière Bataille fut plus courte que les précédentes, et cette fois nous avions gagné sans qu'il n'y ait de morts à déplorer. Les humanoïdes étaient vaincus. Les colons pouvaient enfin revenir et tenter de reprendre une vie normale. Les renforts terrestres resteraient sur place durant les semaines qui suivraient afin d'aider à la reconstruction et d'éliminer les derniers résistants. Quant à nous, nous sommes rentrés sur Terre. Il y avait une certaine joie de retourner sur notre monde et de retrouver nos familles, mais il y avait aussi, et surtout, de la tristesse d'avoir perdu des membres chers à la Police...


Sur Terre, nous fûmes accueillis par l'Ambassadeur Ayres en personne. J'ai participé à l'enterrement de Jens et de Hebden, mais je n'ai pas eu le courage d'aller à tous les autres. J'ai pu voir leur père, le Grand Général Nera, accompagné par son dernier fils, Elladan. Pendant un instant, j'ai cru voir Jens devant moi, me souriant. Elle semblait... en paix.


Je suis resté en contact avec les frères Lotha, Ren Sparoa, Théa Naïgo, Hannon Brisa, et mon frère Ader, bien entendu.


L'histoire de Jens Nera se termina comme elle avait commencé, Edel, Eder et moi dans le bus qui nous ramenait chez nous, mais aujourd'hui Jens n'était pas là, et pour la dernière fois, je nous revois marcher vers le Centre Spatial de l'Armée...


 

[1] : Centre Spatial de l'Armée

5 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout

Comments


bottom of page