Allers et Retours dans le Temps…
Schmitt se réveilla dans un calme apaisant, jetant un coup d'œil à sa montre, surpris de constater qu'il avait dormi près de 11 heures. Après s'être étiré, il observa son compagnon endormi. Leur parcours temporel commun avait apparemment épuisé l'homme, qui n'avait pas bougé depuis un moment. Il était presque une heure du matin et la faim le tenaillait. Il se demanda si le service d'étage était encore disponible à cette heure tardive et appela. Trente minutes plus tard, quelqu'un frappa à la porte, apportant le repas commandé. Schmitt se servit généreusement et en mit de côté pour son ami encore endormi.
Une heure passa, puis deux, mais l'homme ne montrait aucun signe de réveil. Schmitt décida alors de sortir pour une balade nocturne. À trois heures du matin, les rues étaient désertes. Habillé à la mode de leur époque, il se rendit à Central Park après à Times Square, avant de retourner à l'hôtel vers six heures du matin. Le réceptionniste le salua à son retour.
— Monsieur Schmitt !
Schmitt se dirigea vers lui.
— Votre ami a appelé, demandant si vous avez pensé à lire le journal en rentrant, dit le réceptionniste, un peu perplexe quant à l'importance de cette information.
— Merci pour l'info, répondit Schmitt avec un sourire.
Dans la chambre, il trouva son ami en train de déjeuner. Il le rejoignit à table.
— Merci d'avoir pensé à moi.
— C'était le moins que je puisse faire, répondit Schmitt avec un sourire. Comment vas-tu ?
— Super, et toi ?
— Bien.
— Combien de temps j'ai dormi ?
— Je dirais 17 heures.
— Eh bien… Le réceptionniste t'a transmis mon message ?
— Oui, mais en quoi est-ce important ? demanda Schmitt.
— L'Histoire a encore changé, dit-il en lui tendant le journal du jour.
En première page, on pouvait lire "La Chine en course pour la Lune". Cette nouvelle était exceptionnelle, car dans l'Histoire qu'ils connaissaient, la course vers la Lune se limitait à la Russie et aux États-Unis.
— C'est une blague ?
— Je t'ai bien dit que l'Histoire avait encore changé. Il faut s'dépêcher de découvrir pourquoi cette fille est importante. Tu as découvert quoi pendant de ton voyage dans le futur ?
— Rien n'a encore changé là-bas, pour l'instant du moins, répondit Schmitt. Mais ça ne saurait tarder. C'est comme des ondes dans l'eau, ça finira par changer si nous ne résolvons pas le problème.
— Et ensuite ?
— Le Voyageur qui m'a aidé la première fois a recherché le nom et le prénom que tu m'as donné. Il a eu du
mal à trouver des informations sur elle, à part la date du 16 février où tu t'es déjà rendu.
— Merde.
— Le 13 avril 2018. J'ai dit qu'il avait eu du mal, pas qu'il n'avait pas réussi. C'est la seule date que je puisse te proposer pour le moment.
— Ça suffira pour le moment. Tu sais c'que ça représente ?
— Non, il n'y a pas plus d'informations sur elle, ce qui est étrange compte tenu de l'importance des lignes temporelles convergentes vers elle.
— C'est toujours difficile d'obtenir des informations sur les Voyageurs. On connait juste son siècle d'existence, mais ça n'suffit pas. Si elle a voyagé dans le temps, il est normal de ne rien trouver. Tu as un lieu ?
— Non, juste une heure. 8 h 30, le 13 avril 2018.
— Sérieux ? pas même un lieu ?
— Je suis désolé, mais ce sont les seules informations dont nous disposons, répondit Schmitt.
— Merde, répéta-t-il. Je pense que nous devrons nous débrouiller avec ça.
— Nous ?
— Oui, tu viens avec moi cette fois.
— Pourquoi ? demanda Schmitt, surpris.
— Parce que Londres est vaste et retrouver cette fille nécessitera plus d'une personne.
Schmitt grogna légèrement, se disant que l'agent de terrain était plutôt son ami que lui-même. Il n'était pas habitué à ce genre d'investigations.
— Bon, dans ce cas, il va falloir te préparer, parce que franchement, depuis quand tu ne t'es pas lavé ? se moqua gentiment Schmitt.
— La ferme ! rigola-t-il, lui lançant un toast au visage.
— Excuse-moi, mais même au XVIIe siècle, je me lavais plus souvent que toi.
— La ferme !
Cette fois, Schmitt réussit à esquiver le deuxième toast. Sauver l'Histoire était une chose, mais éviter les toasts volants de son ami en était une autre.
— Plus sérieusement, il va vraiment falloir que tu te changes.
— Tu sais que c'est passé tranquille en 2017.
— Si tu veux vraiment que je participe à cette mission, tu vas devoir te changer.
— Rhaaa. D'accord, d'accord. Mais je n'ai rien d'autre que ce que je porte déjà.
Schmitt réfléchit un instant et décida d'aller chercher des vêtements contemporains pour son ami. Lorsqu'il revint avec un costume complet, cravate et chaussures incluses (comme il était actuellement habillé), son ami se résigna à se laver. Après sa toilette, ils commencèrent à élaborer leur plan pour la mission. Ils avaient une date et une heure approximatives, mais aucun lieu précis, et il leur fallait trouver la future Voyageuse. L'homme connaissait seulement l'adresse des grands-parents de la cible. Ils conclurent qu'ils devaient retourner en 2017, le jour de son anniversaire, et la suivre jusqu'à son appartement. Ils ne pouvaient pas chercher seuls, cela prendrait trop de temps. Ils rassemblèrent leurs affaires, quittèrent la chambre, réglèrent leur montre pour le 26 février 2017, vers 13 h 30, et sortirent.
— Attends ! je ne sais pas où aller. Je ne connais pas le lieu, informa Schmitt avant d'activer leurs montres.
— Ha, j'avais oublié. Bon, donne-moi ta main dans ce cas.
Schmitt tendit sa main et l'homme activa sa montre, les transportant dans une autre ruelle, près de l'appartement des grands-parents de la future Voyageuse.
— On y est, annonça-t-il en relâchant la main de Schmitt.
— Et maintenant ?
— Maintenant, on attends qu'elle sorte.
— Et si elle ne sort que ce soir ?
— Eh bien, on aura attendu toute la journée.
Schmitt grogna encore. Il était meilleur dans les investigations, mais être sur le terrain n'était pas sa tasse de thé. Son ami était bien meilleur dans la traque. Ils s'installèrent donc dans un café à proximité et patientèrent presque deux heures avant que la future Voyageuse ne sorte enfin avec son frère, portant des sacs et riant. Dès qu'ils furent suffisamment éloignés pour les suivre sans être repérés, ils se levèrent et les suivirent discrètement pendant une trentaine de minutes. Finalement, le frère et la sœur s'arrêtèrent sur le bord de la route pour discuter.
— Merde, je n'entends rien de ce qu'ils se disent. Schmitt, tu restes là, d'accord ? je vais passer doucement à côté d'eux. Attends une minute, puis suis-moi.
— Pourquoi ? demanda Schmitt.
— C'est le seul moyen d'entendre leur conversation.
— Ha. Pas faux.
Schmitt attendit patiemment pendant que son ami se glissait discrètement à côté d'eux, évitant de susciter l'attention. Les deux individus étaient tellement absorbés par leur conversation qu'ils ne remarquèrent pas leur présence.
L'homme fut déçu, la conversation n'était pas aussi captivante qu'il l'avait espéré. Il s'éloigna un peu et attendit que Schmitt le rejoigne. Lorsque Schmitt finit par arriver à sa hauteur, il semblait avoir capté quelque chose d'intéressant.
— Il faut suivre la fille. Elle se rend à son appartement pour déposer ses paquets, puis elle retourne chez son frère.
— Tu en es sûr ?
— Oui, je les ai entendus.
— Au moins l'un de nous a eu de la chance, marmonna-t-il.
Ils attendirent que les deux se séparent avant de suivre discrètement la jeune femme à distance. L'objectif était de ne pas éveiller les soupçons. Une fois qu'ils connaîtraient son adresse, ils devraient trouver un moyen de pénétrer dans son appartement, laissant cette tâche à l'ami de Schmitt. La jeune Voyageuse habitait à quelques pâtés de maisons seulement de chez son frère, alors ils patientèrent à nouveau quelques minutes jusqu'à ce qu'elle sorte.
— Et maintenant ? demanda Schmitt.
— Je vais y aller, toi, tu restes ici.
— Attends, attends ! un homme immobile, habillé comme ça, au milieu de la rue, c'est vraiment suspect.
— Oui, tu as raison. Trouve une carte, fais semblant d'être un touriste à la recherche de son chemin.
— D'accord. Et si la fille revient pendant que tu es encore là-dedans ?
— Occupe-la. Je n'serai pas long, j'ai juste besoin de quelques minutes pour trouver les indices dont nous avons besoin.
Schmitt acquiesça et pendant que son ami se dirigeait vers l'appartement de la fille, il partit chercher une carte. Ce genre de mission était toujours risqué, car la personne qu'ils espionnaient avait souvent tendance à revenir à l'improviste. Et comme prévu, une dizaine de minutes plus tard, alors qu'il faisait mine d'être un touriste perdu, Schmitt vit la jeune femme revenir sur ses pas. C'était inévitable...
— Mademoiselle ! excusez-moi ! dit Schmitt en s'approchant d'elle.
Il devait gagner du temps, sinon son ami risquait d'être découvert. En attendant sa sortie de l'appartement, Schmitt devait improviser. Il tenait la carte dans ses mains, c'était le moment de jouer pleinement la carte du touriste.
— Ouah, stylé ! ç'a vraiment un côté rétro, comme dans les années 60, répondit la fille, un peu Men in Black.
— Men in Black ? répéta Schmitt, perplexe.
— Le film ? Men in Black ? vous ne connaissez pas ?
— Non, désolé.
— Ah bon. En tout cas, comment puis-je vous aider ?
— Je suis un peu perdu, voyez-vous. J'aimerais me rendre ici, dit-il en lui montrant l'endroit sur la carte, mais je ne sais pas comment y aller.
— Laissez-moi voir.
Pendant que la jeune femme essayait d'expliquer à Schmitt comment se rendre à l'endroit indiqué, son ami sortit à peine de l'immeuble. Schmitt l'aperçut au loin. Après avoir conclu sa conversation avec la jeune femme et l'avoir remerciée, il prit la direction opposée à celle de Schmitt. Peu de temps après, l'homme le rejoignit.
— C'était limite, informa Schmitt.
— J'ai vu ça. Je ne pensais pas qu'elle rentrerait si vite.
— Elle devait avoir oublié quelque chose. Qu'as-tu trouvé ?
— Elle est étudiante en médecine, je crois. Il y a pas mal de livres sur l'anatomie humaine et la génétique.
— Ouah.
— Comme tu dis. On a affaire à une tête. Je pense qu'elle recevra sa montre sur le trajet de son université. Lorsqu'on sera en 2018, il nous suffira de la suivre et d'observer ce qu'il se passera.
— Bien. Alors, on y va ?
Les deux hommes se mirent d'accord sur l'heure du rendez-vous : 7 heures, le 13 avril 2018, dans une ruelle bordant son appartement. À cette heure-là, les rues ne devraient pas être très fréquentées. Au dernier moment, l'homme constata que sa montre n'était pas encore entièrement rechargée. C'était donc à Schmitt d'emmener son ami faire ce voyage. Schmitt prit la main de son ami et activa sa montre. Lorsqu'ils atterrirent à l'endroit prévu, ils vérifièrent qu'ils étaient au bon endroit puis patientèrent jusqu'à ce que la jeune Voyageuse sorte de chez elle. Ils avaient raison, peu de personnes étaient présentes à cette heure-là, par chance. Cachés, ils attendirent une bonne heure jusqu'à ce que la jeune femme se décide enfin à sortir.
Schmitt n'aimait décidément pas les missions sur le terrain ; ils passaient plus de temps à attendre qu'à agir. Le fait de la suivre sans se faire remarquer aurait été plus simple si les rues étaient un peu plus animées, mais heureusement, Schmitt pouvait compter sur son ami pour le suivre avec discrétion. Alors qu'ils marchaient sur le trottoir en face du sien, aux alentours de 8 h 30, la jeune femme s'arrêta pour aider un vieillard à trouver son chemin. C'est alors que les deux hommes réalisèrent que ce vieillard était en réalité un autre Voyageur, lorsqu'il lui tendit sa montre.
— C'est un Voyageur, chuchota l'homme à Schmitt, alors qu'ils essayaient de ne pas se faire remarquer. C'est là où elle reçoit sa montre. On avait vu juste.
— Tu avais vu juste, chuchota Schmitt à son tour.
Ils avaient une bonne vue de la scène, ni trop loin ni trop près, mais suffisamment cachés des autres. Pour une ville de cette ampleur, à cette heure-là, et à cette époque, il était assez étrange de voir si peu de passants. Mais d'un côté, c'était rassurant ; en cas d'urgence, l'un d'eux pouvait partir avec sa montre. Celle de Schmitt ne serait pas rechargée avant deux bonnes heures. Le côté problématique du Voyage dans le Temps était qu'ils étaient dépendants de leurs montres.
L'homme regarda sa montre ; il était 8 h 35 lorsque les deux compères se séparèrent. Sur leur trottoir, les deux amis reprirent leur route. La jeune Voyageuse semblait grandement intéressée par la montre lorsque soudain, elle partit dans un éclair blanc ! Schmitt et l'homme restèrent un instant bouche bée. C'était certainement un accident, et ils n'avaient aucun moyen de la retrouver. Elle pouvait être n'importe où dans l'Espace-Temps !
— Merde ! s'exclama l'homme.
— Où est-ce qu'elle est partie ?! commença à paniquer Schmitt.
— Je n'en ai aucune idée !
Sans attendre plus longtemps, tous deux traversèrent en courant la route et se rendirent vers l'ancien Voyageur. Il n'avançait guère rapidement.
— Monsieur ! attendez ! dit l'homme en lui bloquant le passage.
Schmitt vint alors se placer à ses côtés.
— Que puis-je pour vous ? demanda le vieillard.
— La fille, elle n'est plus là, informa l'homme.
Le vieillard jeta un coup d'œil derrière lui et sourit.
— C'est que les jeunes d'aujourd'hui sont rapides. Elle est partie dans un éclair blanc, nous l'avons vu ! Nous savons, inutile de jouer.
L'homme souleva sa manche et laissa apercevoir sa propre montre. Le vieillard la toucha du bout des doigts avec un triste sourire.
— Que voulez-vous ? demanda-t-il.
— Où... à quelle période est-elle partie ?
— Comment pourrais-je le savoir, jeune homme ? ce qu'elle fait de sa montre ne regarde maintenant qu'elle.
— C'est important, tout change après son Voyage !
— Je ne peux rien faire, je suis désolé.
— Merde …
— Viens, intervint Schmitt en tirant l'homme par le bras, merci monsieur.
Les deux hommes s'éloignèrent du vieillard et du reste des passants. Il n'y avait clairement aucun moyen de savoir où elle avait atterri. Tous deux venaient de voir l'Histoire changer devant leurs yeux, et ils étaient incapables d'empêcher cela. Maintenant, ils ignoraient ce qu'ils pouvaient faire...
— Merde, merde, merde… continuait de jurer l'homme.
— Que fait-on maintenant ? demanda Schmitt.
Mais son ami ne l'écoutait pas, semblant perdu dans ses pensées, faisant les cents pas devant lui. Schmitt l'attrapa par le bras pour le calmer.
— Que fait-on ? répéta-t-il.
— Je n'sais pas…
— On est finis, c'est ça ? on a échoué.
Un silence.
— MERDE ! oh je vais probablement le regretter… dit-il en soufflant. Est-ce que tu me fais confiance ?
— Oui, bien sûr, répondit Schmitt.
— Tu ne devrais pas… Je connais un moyen de la retrouver.
— Ok ! pas de problème, je te suis.
— Tu ne devrais vraiment pas me faire confiance, tu sais ?
— La ferme. Nous avons une mission à finir, peu importe les risques.
L'homme sourit à Schmitt, ravi d'avoir son ami auprès de lui pour ce qu'il s'apprêtait à faire. Il s'était juré de ne plus y retourner, mais c'était le seul moyen qu'ils avaient pour la retrouver. Il jura une nouvelle fois et régla sa montre sur la date et l'heure parfaites. Il prit la main de Schmitt et respira un bon coup. Ils allaient bientôt ressentir les effets du Voyage dans le Temps, ayant déjà effectué trop de Voyages en peu de temps. Il actionna sa montre, et tous deux partirent à leur tour dans un éclair blanc devenu habituel.
La tête commençait à lui tourner lorsqu'ils atterrirent. Schmitt tenait encore la main de son ami, qui ne semblait pas vouloir la lâcher. Il regardait autour de lui, s'attardant plus longtemps sur son ami, blafard et regardant droit devant lui comme s'il avait vu un fantôme.
— Logan Whittaker, dit la voix du fantôme avec un léger accent russe, en voilà une surprise.
— Agréable, j'espère, répondit Logan.
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