Le regard angoissé, Psy Eyzen se tenait seul dans une pièce sombre, où résonnaient les voix sans visages provenant d'un combiné. Il avait été sommé de faire son rapport sur l'attaque dont son unité et deux autres avaient été victimes. Les mots peinaient à sortir de sa bouche, mais il savait qu'il devait tout raconter, dévoiler la vérité sur cette nuit tragique.
— Dites votre nom, prénom et unité, dit une voix masculine dans le combiné.
— Eyzen Psy, 25e régiment des Armées Terrestres.
— Monsieur Eyzen, comprenez-vous pourquoi vous êtes ici ?
— Oui, répondit-il la voix légèrement tremblante.
— Pouvez-vous expliciter ?
Le ton des l'interrogateurs était froid et distant, ne laissant aucune place à la sympathie ou à la compréhension. Ils voulaient entendre son récit, connaître les détails de l'incident qui l'avait conduit à être considéré comme un meurtrier.
— Je suis ici pour vous faire mon rapport sur l’attaque que nous avons subi il y a deux rotations, et pour expliquer mon geste.
— Un geste qui vous a conduit à être vu comme un meurtrier.
— Je ne suis pas un meurtrier ! s’exclama Eyzen.
— Monsieur Eyzen veuillez baisser d’un ton, fit une voix féminine dans le combiné.
— Excusez-moi.
Psy Eyzen était un homme respecté et admiré, un militaire haut gradé, mais tout avait basculé avec cet événement tragique. Maintenant, il se retrouvait dans cette pseudo-cellule, tentant désespérément de faire entendre sa version des faits.
Les interrogateurs lui demandèrent de parler du début, de décrire les événements qui avaient conduit à cette nuit fatale. Psy Eyzen inspira profondément, essayant de rassembler ses pensées.
— Mon unité et deux autres, ont été dépêchés sur Mars pour une raison qui nous est restée inconnue. Nos Supérieurs nous ont affirmé que c’était sans risque, que nous avions juste à …
— Quelles unités ? coupa la voix masculine.
— Le 23e et le 14e Régiment, répondit Eyzen. Notre unique mission était de patrouiller dans la ville de notre Colonie Martienne. Une simple mission.
— Quand vous êtes-vous rendu compte qu’il y avait un souci ?
— Dès le départ. Si c’était une simple mission de patrouille et de surveillance, pourquoi avait-on dépêchés sur place les trois meilleures unités des Armées Terrestres ? des régiments, qui plus est, spécialisés dans la défense de points sensibles ? il y avait quelque chose qui n’allait pas là-dedans, mais nous n’avons rien dit et avons effectuer notre mission durant plus d’un mois terrien. Jusqu’à avant-hier soir il n’y a eu aucune alerte, nous commencions à penser que nous nous étions trompés et qu’il n’y avait pas de sous-mission secrète ou quoique ce soit. Nous étions repartis pour une seconde nuit blanche … cela était inconcevable. Mes hommes n’avaient pas dormi depuis deux jours, comment voulez-vous être efficace dans une telle situation ? dit Eyzen la voix brisée par l'émotion. Tout cela n'a pas d'importance pour tout dire, mon unité et les deux autres sont mortes. Il n'y plus personne à commander …
Un nouveau silence s'installa dans cette sombre pièce. Psy Eyzen se sentit plus seul que jamais. En plus d'être vu comme un meurtrier par tout le monde, ses Supérieurs et la hiérarchie, il avait perdu toute son unité et perdrait bientôt la tête.
— Continuez, s'il vous plaît, reprit la voix féminine.
Eyzen rassembla ses pensées et se lança dans son récit.
— Nous étions donc repartis pour une seconde nuit blanche. Les hommes étaient fatigués mais prêts à effectuer leur travail. Comme c'était la norme, nous avons refait des groupes et mixé les unités entre elles. Cela permet de rester plus alertes et réveillés que lorsque nous patrouillons seuls ou à deux. Chaque groupe avait un quartier, la ville étant donc divisée en treize quartiers, nous avions donc treize groupes.
La voix féminine le questionna ensuite sur l'heure de l'attaque, et Eyzen répondit qu'il était aux environs de 21h00 heure-locale.
— La nuit était déjà tombée et nos patrouilles avaient déjà commencé. Nous avions entendu de nombreux tirs en provenance du 5e quartier, ensuite l'alarme de proximité a résonné dans toute la ville. Ce fut le chaos.
La voix masculine lui asséna ensuite de décrire ce qu'il avait vu, ce qu'il avait fait. Eyzen prit quelques secondes pour rassembler ses souvenirs, cherchant à organiser ses idées du mieux qu'il pouvait. Ce fut une nuit d'agitation et de malheur, il avait tout dans la tête mais il lui était bien difficile de tout remettre en ordre.
— Nous avons commencé à subir des attaques en provenance du 3e quartier, du 10e et du 7e, en plus du 5e. Malgré nos efforts pour communiquer entre nous, aucun groupe ne fut capable d'identifier les attaquants. Personne ne savait clairement contre qui nous nous battions. Et ce qui était encore plus inconcevable, il n'y avait personne d'autre que nos unités pour défendre cette ville. C'était pourtant une ville de colons, nos colons. Pourquoi personne ne la protégeait ? expliqua Eyzen, sa frustration se faisant ressentir dans sa voix.
— Pourquoi ? répéta la voix féminine, cherchant à comprendre.
— Comment pourrais-je le savoir ? je ne fais que relater les faits. Si vous voulez connaître les raisons, ce n'est pas à moi qu'il faut demander.
La voix masculine demanda quand ils avaient pu voir les attaquants et lorsque Psy Eyzen lui répondit après un instant de réflexion que ce fut le cas mais seulement trois heures après le début des hostilités, celui-ci sembla surpris. La voix féminine intervint alors, curieuse par autant de délais.
— Mais pourquoi vous a-t-il fallu attendre si longtemps ?
La réponse d'Eyzen fut empreinte de sombre réalité.
— Le courant avait été coupé, plongeant la ville dans les ténèbres les plus profondes. Les habitants ont mystérieusement disparu dès que l'alarme de proximité a retenti.
— À quoi ressemblaient-ils, ces attaquants ?
— C'étaient des hommes, madame, de simples hommes vêtus de combinaisons similaires à celles des Forces Spéciales, déclara Psy Eyzen d'un ton résolu.
— Voulez-vous dire que nos propres hommes ont perpétré cette attaque ?
— Je veux dire que cette attaque ressemblait de plus en plus à un piège. Après près de 20 ans de service dans les Armées Terrestres, je peux reconnaître un piège lorsque j'en vois un. Les habitants ont disparu dès que l'alarme de proximité a été déclenchée, et des hommes habillés comme les Forces Spéciales sont responsables de cette attaque. Ce n'est pas une simple supposition, vous le savez bien. Je sais que vous êtes actuellement en train de vérifier si je mens, et vous êtes stupéfaits de constater que je dis la vérité. Leur objectif était de nous éliminer, nos trois Unités.
Ignorant les révélations de Psy, la voix masculine parla sans détour.
— Continuez. Qu'est-il arrivé ensuite ?
À cet instant , Psy Eyzen était en proie à une dualité captivante. Entre une détermination indomptable et une anxiété profonde, son esprit tourmenté naviguait dans les méandres de la solitude grandissante. Il se tenait là, perçu par tous comme un meurtrier. La perte dévastatrice de son unité, se mêlait à la menace imminente de perdre sa raison. Pourtant, une étincelle de résilience persistait dans le regard de Psy Eyzen, reflétant une volonté farouche de dévoiler la vérité et d'assurer une juste rétribution à ses frères et sœurs d'armes tombés au combat. Au plus profond de lui, une détermination inébranlable et une soif ardente de rédemption l'habitaient. Il était prêt à affronter tous les obstacles, animé par l'espoir de dévoiler les sinistres machinations qui avaient conduit à cette tragédie.
— J'ai réussi à retrouver un quart des hommes, issus des trois Unités mélangées. Nous avons combattu ... non, nous avons survécu aussi longtemps que possible. Vers quatre heures du matin, nous avons réussi à nous frayer un chemin jusqu'au Centre de Commandement. Les tirs avaient cessé depuis une demi-heure, les assaillants n'avaient plus personne à viser. C'était mon idée, mais nous n'aurions jamais dû y aller ...
— Pourquoi ? demanda la voix féminine d'un ton calme.
— La première chose à faire en cas d'attaque est de prévenir nos Supérieurs, nos fameux Supérieurs qui nous ont laissés seuls sur place avec un seul ordre de mission. Pour les avertir, nous devions nous rendre au CC [1]. Les assaillants n'étaient pas stupides, ils connaissaient nos procédures, nos ordres. Ils nous y attendaient ... J'ai conduit ces hommes droit vers la mort, admit Eyzen d'une voix épuisée. Nous nous sommes séparés, un groupe a fait diversion pendant que le deuxième, sous ma direction, s'est dirigé vers le CC pour envoyer le message aux Supérieurs.
Psy Eyzen était un combattant aguerri, il avait déjà perdu de nombreux camarades depuis son engagement dans les Forces Armées de la Terre. Mais cette fois-ci, c'était différent. Son unité, ainsi que le 14e et le 23e Régiment, avaient été décimés par les Forces Spéciales. Il savait que c'était un châtiment pour les actions commises sur Ahlem, la dernière planète colonisée, désormais perdue. Cependant, le Commandant Psy Eyzen avait survécu à l'attaque et il le ferait payer à ses assaillants.
— Monsieur Eyzen, combien étiez-vous ? demanda la voix masculine.
— Nous étions seulement trois. Netves Hebdy du 14e Régiment, Reasdt Lima du 23e Régiment, et moi-même, Eyzen Psy du 25e Régiment. Nous nous sommes rendus au CC. Hebdy et Lima surveillaient le couloir pendant que j'essayais d'envoyer un signal de détresse. Mais ces hommes avaient brouillé nos communications, je devais trouver un moyen de contourner le brouillage. Cela prenait plus de temps que prévu, et le temps nous manquait. Lima et Hebdy me pressaient, les ennemis étaient maintenant à l'autre bout du couloir, ils les avaient repérés et commençaient à tirer. Il était cinq heures du matin, le soleil allait bientôt se lever, mettant fin à notre deuxième nuit blanche ... et à nous-mêmes.
Après avoir réussi à contourner habilement le brouillage, Psy Eyzen et ses hommes se retrouvèrent dans une situation tendue, leurs armes toujours fermement saisies. Face à eux se tenaient les attaquants, ayant temporairement baissé leurs armes en signe de trêve. Dans la salle, une atmosphère électrique flottait, empreinte d'une méfiance. Les regards étaient perçants, chacun scrutant l'autre avec suspicion. C'est alors que le chef des assaillants brisa le silence, sa voix résonnant dans l'espace confiné. Psy Eyzen ressentit un frisson de reconnaissance, une familiarité qui le saisit. Pourtant, il lui était impossible, à ce moment-là, d'identifier l'origine précise de cette voix. Ce n'est que lorsque le chef des attaquants dévoila son visage, que la révélation éclata comme un éclair dans son esprit. Une tension oppressante s'installa, annonçant une confrontation imminente.
— De qui s’agissait-il ? répéta la voix masculine.
— Du Général Adjer Tylus. Regardez mon battement de cœur, regardez tout ce que vous souhaitez, voyez que je ne mens pas.
Sa déclaration était accompagnée d'un sentiment d'urgence, une volonté de convaincre que chaque battement de son cœur témoignait de sa sincérité. Il souhaitait que ses interrogateurs saisissent la vérité dans ses paroles, qu'ils comprennent l'ampleur de la situation à laquelle il faisait face.
— En êtes-vous sûrs ? demanda prestement l’homme.
— L’homme qui a dirigé l’attaque contre nos Unités était le Général Adjer Tylus.
— Que s’est-il passé après ? n'oubliez aucun détail.
— Il a pris la parole. Il nous a dit qu’il était surpris que trois d’entre nous aient survécus, mais pas aussi surpris que cela puisque nous étions les meilleurs de nos Unités. Il a dit que nous n’aurions jamais dû venir ici et envoyer un message. Que lorsque les renforts arriveraient il sera déjà trop tard, que nous serions morts et eux loin d'ici. Qu’il ne resterait personne pour témoigner.
— Pourquoi vous dire cela ? c'était votre Général, n’était-il pas là pour vous sauver ? demanda la voix masculine.
— Avez-vous seulement écouté ce que j’ai dit ? s'énerva Psy Eyzen. Le Général Tylus n’était pas venu parce que nous avions envoyé le S.O.S, il était là avant, c’est lui qui dirigeait l’attaque contre nos Unités ! dites-moi donc que je mens. Allez-y.
Un silence pesant s'installa avant que la voix masculine reprenne.
— Admettons que cela soit vrai, que vos trois unités aient été envoyées dans cette ville pour être piégées par les Forces Armées, pourquoi auraient-elles fait cela ?
— À cause de ce que nous avons fait sur Ahlem, répondit Psy Eyzen avec amertume.
— La dernière planète colonisée, récemment perdue ?
— Oui. Nous étions chargés de la protection du premier site et nous avons échoué. Nous étions les meilleurs, mais à cause de nous, la Terre a perdu sa colonie ... Ils avaient besoin d'un moyen de nous le faire payer, la cour martiale n'était pas une option, car nous n'étions coupables de rien. Alors on nous a affectés à la protection de cette ville. C'était un leurre, les Forces Spéciales ont lancé leur assaut une fois que les habitants étaient loin d'ici et en sécurité.
— Finissez votre rapport. Nous verrons les conclusions plus tard, ordonna la voix féminine.
Psy Eyzen prit une profonde inspiration avant de reprendre, la voix claire et limpide.
— Le Général Tylus a voulu que nous le suivions, qu'il mette fin à nos vies avec dignité, mais nous n'étions pas prêts à mourir, certainement pas par leurs mains. Notre survie était maintenant cruciale pour révéler la vérité. Les renforts devaient être proches, du moins nous l'espérions. Alors, j'ai pris une grenade aveuglante et l'ai lancée dans leur direction. Nous avons pu fuir pendant qu'ils étaient désorientés.
— Si vous avez réussi à fuir, comment se fait-il que vous soyez le seul survivant ? comment vous êtes-vous retrouvé avec le Général Tylus ? demanda la voix masculine, perplexe.
— Seul le Général Tylus nous suivait de près. Nous avons réussi à sortir, mais il nous a poursuivis. Avant que je puisse me mettre à couvert, Lima et Hebdy sont tombés.
— Mais pas vous ?
— Ils étaient derrière moi, ils sont tombés pendant que j'avais encore le temps de me protéger, expliqua-t-il frustré par toutes ces questions.
Les voix furent silencieuse durant un instant et la tension de Psy Eyzen ne fit que monter d'un niveau. Puis finalement la voix masculine reprit, demanda à savoir ce qu'il s'était passé ensuite.
— J'ai combattu le Général Tylus. Il m'a dit qu'il ne restait plus que nous, que ses hommes étaient déjà partis, et qu'après ma mort, personne ne saurait ce qui s'était passé, et que les Forces Armées seraient tranquilles. C'était trop pour moi ... Sans qu'il s'y attende, je l'ai abattu. Épuisé, je me suis évanoui. La suite, vous la connaissez, vous nous avez retrouvés, vous m'avez retrouvé à côté du Général que j'avais assassiné de mes propres mains, conclut Psy Eyzen.
Psy Eyzen avait terminé son rapport. Maintenant qu'ils connaissaient la vérité, ils agiraient pour démanteler les Forces Spéciales et passer en cour martiale tous ceux qui étaient impliqués dans le massacre des trois Unités. Un silence pesant s'installa. La porte s'ouvrit, laissant entrer un homme et une femme dans la pièce, chacun avec une arme en main ...
[1] : Centre de Commandement
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