Le bureau de l'Amiral, perché au sommet d'une tour monumentale, offrait une vue imprenable sur l'étendue de la ville. Siirus, la planète mère de la Galaxie, dominait toutes les autres en autorité. À l'origine, l'Académie avait été créée dans le but de l'exploration et de la découverte de nouveaux mondes. Cependant, au fil des siècles, les choses avaient évolué. Les capitaines affiliés conservaient leur rôle d'explorateurs, mais ils exerçaient également une autorité sur les planètes et les secteurs les plus éloignés, véhiculant ainsi le message de Siirus.
L'Amiral se percevait comme un être égal aux autres, même s'il détenait le contrôle des Capitaines et de l'Académie, le plaçant par extension dans une position supérieure. Résister à la tentation du pouvoir nécessitait une force mentale considérable. Il se tenait là, immuable dans sa détermination, observant le monde en bas, prêt à affronter une nouvelle journée pleine d'incertitudes. Il s'installa à son bureau, faisant face à un immense ordinateur. Des centaines de messages lui parvenaient chaque jour, mais seuls les Capitaines pouvaient l'appeler directement. Répondre à chaque message dans les plus brefs délais faisait par ailleurs partie de son rôle d'Amiral, toujours présent pour ceux qui en avaient besoin.
— Ordinateur, combien de messages aujourd'hui ? interrogea-t-il.
— Il y en a déjà une bonne centaine, répondit la voix robotique de l'IA.
— Tu connais la chanson, classe-les par ordre d'importance.
L'Ordinateur s'exécuta, faisant défiler et réorganisant les messages devant les yeux de l'Amiral. C'était une routine bien établie, il connaissait les procédures. Quelques instants plus tard, celui-ci s'arrêta sur un message particulier, signalé en rouge.
— Pourquoi celui-ci ? demanda l'Amiral.
— Des fichiers y sont joints, et j'ai capté les mots-clefs : Capitaine, esclave et appel à l'aide.
— Bien, lance-le.
Le message s'afficha sur grand écran, révélant une silhouette qu'il interpréta comme féminine. Elle avait des cheveux noirs ébouriffés, une robe d'une blancheur éclatante et une lueur énigmatique dans les yeux. Intrigué, l'Amiral s'assit droit, prêt à écouter.
— Bonjour. Je m'appelle Skylar Hogan, je suis une humaine… commença le message.
Pendant la minute qui suivit, il écouta attentivement. À la fin, il resta stupéfait par les révélations. Certains Capitaines étaient impliqués dans des activités illicites, il le savait, mais pas Sarek. C'était l'un de ses meilleurs Capitaines. Mais il devait mettre de côté ses préjugés. Skylar semblait avoir vécu l'enfer à cause d'un des siens, et cela devait être résolu.
Le message se remit au début et laissa place aux fichiers joints. Des centaines de documents détaillant les noms des Capitaines et des Intermédiaires impliqués dans le trafic d'êtres vivants des Finas De Gla. Comment Skylar avait-elle pu rassembler de telles preuves ?
— Ordinateur, qu'est-ce que je regarde ? demanda l'Amiral, incertain de la réalité.
— Toutes les preuves nécessaires pour mettre fin aux agissements des Finas De Gla, comme l'Académie et Siirus en ont besoin.
— C'est incroyable… comment… Une humaine a fait ça ?
— Oui, Amiral.
— C'est une nouvelle espèce, elle n'est même pas censée savoir qu'elle n'est pas seule dans l'Univers.
Un silence s'installa.
— Est-ce qu'on a ses coordonnées ? reprit-il.
— Oui, elles correspondent à la planète Emere.
— Emere ? tu plaisantes ?
— Non.
— C'est le secteur voisin !
— Et la première planète que les Finas De Gla ont acquise en raison de sa proximité avec Siirus, justement.
L'Amiral passa une main sur son crâne, ressentant le poids de la responsabilité qui pesait sur ses épaules. L'urgence d'agir s'imposait. Avec toutes les preuves en main pour arrêter les Finas, les Capitaines et les Intermédiaires, il était temps de mettre un terme à leur Empire. Heureusement, Siirus disposait d'une police et d'une armée d'intervention déployées partout, indépendamment des Capitaines. L'Amiral les contacta, et une équipe fut prête dans l'heure qui suivit. Il était grand temps de mettre fin à ce règne oppressant.
Pendant ce temps, Skylar commençait à douter de l'intervention qu'elle espérait. Les paroles d'Atalaya semblaient résonner dans son esprit, laissant planer le doute sur la possibilité que personne ne viendrait à son secours. Dans ce cas, elle resterait bloquée dans l'espace, sans moyens de s'échapper. Maîtresse Kayla ne reviendrait pas ici, sachant qu'elle risquait l'arrestation. D'un côté, l'Académie était tenue de venir sur cette planète si elle voulait arrêter Maître Acef, mais Skylar était toujours sous le choc.
Depuis que ses anciens compagnons étaient partis, elle était restée immobile sur les marches. Elle avait observé le cycle du jour et de la nuit, peut-être plusieurs fois. Le sang séché sur ses mains et son visage commençait à créer une sensation désagréable, mais elle s'en fichait. L'odeur des cadavres en décomposition ne la dérangeait même plus. Tétanisée par tout ce qui venait de se dérouler, elle était assise, les yeux perdus dans le vague. Elle n'avait ni faim, ni soif, ni froid. C'était le choc, pas l'acceptation. L'arme qu'elle tenait depuis les événements n'avait pas quitté ses mains, car elle n'avait pas osé la poser. Un sentiment de vide l'habitait, et elle aurait finalement souhaité être avec eux. L'Académie ne viendrait pas, et Atalaya avait eu raison.
À l'aurore du troisième matin, quatre vaisseaux la tirèrent de sa transe étrange, dont l'un ressemblait étrangement au Krœnos. Skylar les observa atterrir, incertaine qu'il ne s'agisse pas d'une hallucination. C'est en voyant Sarek et le reste de l'équipage sortir précipitamment du vaisseau identique au Krœnos qu'elle réalisa que ce n'était pas un rêve. Un être imposant, le crâne rasé et vêtu d'un costume militaire, accompagné d'une solide armée, sortit des trois autres vaisseaux, armes au poing. Sans attendre, ils pointèrent leurs armes sur Sarek et son équipage, sur ordre de l'être imposant.
— Amiral ?! s'exclama Sarek, surpris. Mais que faites-vous ?!
— Vous me les mettez aux arrêts, nous aurons une explication plus tard, ordonna l'Amiral.
— Amiral, attendez !
Mais l'Amiral ne prêta plus attention, et une partie de son armée commença déjà à arrêter le Capitaine et son équipage. Il s'avança lentement vers Skylar, un vétéran de plusieurs guerres, capable de reconnaître quand quelqu'un était en état de choc. Il ordonna aux autres d'investir les lieux, tandis qu'il s'agenouillait devant l'humaine tant bien que mal.
Il l'avait observée, et elle ne ressemblait en rien à la jeune créature qui avait appelé à l'aide trois jours auparavant. Sa robe n'était plus immaculée, son visage montrait des signes de fatigue, tiraillé par l'attente. Mais le sang, les cadavres autour d'elle, et l'arme dans sa main révélaient qu'elle n'avait pas attendu leur aide. Ce qui était certain, c'est que ce n'était pas son propre sang. L'Amiral lui prit délicatement l'arme des mains et la remit à une autre personne, qui la scella immédiatement. Une enquête serait menée, c'était la procédure. Le sang semblait séché depuis longtemps déjà. L'Amiral ôta sa veste et la posa sur les épaules de Skylar, dont les mains étaient gelées.
— Skylar Hogan ? lui dit-il finalement. Amiral Chennai. J'ai reçu votre message.
Il avait bien reçu son message. Atalaya avait eu tort ; ils étaient bien venus pour elle.
— Sarek… murmura-t-elle difficilement. Comment…
— Tout va bien, nous nous occuperons de ça plus tard. Depuis combien de temps êtes-vous assise là ? demanda-t-il.
— J-j'ai… vu deux levers de soleil… répondit-elle toujours dans un souffle.
— Nous allons nous occuper de vous maintenant, vous n'êtes plus seule.
Quelques instants plus tard, quelqu'un revint vers eux. Ils avaient investi toute la maison, mais n'y avaient trouvé qu'un cadavre.
— Il n'y a personne d'autre dans la maison, uniquement le cadavre d'un mâle, c'est celui d'Acef Finas de Gla, informa-t-il.
— Cause de la mort ? interrogea l'Amiral.
— Coup de feu dans la poitrine.
— D'accord… Vous savez que faire.
Et la personne retourna dans la maison.
— Venez, il faut vous trouver de quoi boire et manger.
L'Amiral tenta de la relever avec autant de délicatesse que possible, mais Skylar ne tenait plus debout. Tout son corps était engourdi après autant de temps passé assise. Il la maintenait comme il pouvait, et ils rentrèrent dans la maison. Petit à petit, l'humaine retrouvait ses sensations. Elle indiqua la direction de la grande salle, là-bas, ils pourraient parler.
Il l'aida à s'asseoir sur un canapé une fois la grande salle atteinte. Il s'assit à ses côtés et demanda qu'on apporte de quoi boire et manger. Après cinq minutes terrestres, quelqu'un arriva avec tout cela. Il demanda à faire venir un médecin, mais l'humaine refusa catégoriquement.
— Je sais que ça va être difficile pour vous, mais il va falloir que vous me racontiez tout ce qui vous est arrivé.
Skylar le regarda dans les yeux. Les procédures. Partout pareil. Ils étaient sûrement en train de commencer une enquête. Elle toussa et se mit à tout débiter, de sa rencontre avec Sarek jusqu'à maintenant. L'Amiral avait sorti au préalable une sorte d'enregistreur afin de garder une trace de tout cela.
Il lui avait posé des questions afin d'obtenir le plus de détails possible, mais au-delà de cela, il l'avait écoutée sérieusement. Il se rendit bien compte que toute cette histoire l'avait profondément traumatisée. Personne ne devient tueur sans en avoir des séquelles.
— Qu'est-ce qui va se passer maintenant ? Sarek, l'équipage ? demanda calmement Skylar.
— Ils ont participé à un trafic d'êtres vivants. Selon les lois établies par Siirus et l'Académie, ils devront être jugés. Une enquête est déjà en cours grâce à votre message. Selon ce qu'ils diront, soit le Krœnos sera mis sous-scellé, soit un nouveau Capitaine sera désigné.
— Bien.
Il venait de comprendre. Cette lueur dans ses yeux qu'il avait vue dans le message et qu'il voyait encore maintenant, c'était de la haine envers ceux qui l'avaient fait souffrir.
— Et pour moi ? reprit-elle en finissant son verre.
— Pour vous, la situation est… compliquée.
— Comment ça compliqué ? dit-elle en se redressant, plus alerte.
— Officiellement, vous avez accepté de faire partie de l'équipage de Sarek. Vous êtes liée par l'honneur à lui et l'équipage.
— Et donc ça veut dire quoi ? que je ne peux pas rentrer chez moi ?
— Vu la situation exceptionnelle à laquelle nous faisons face, une dérogation peut être possiblement signée. À vrai dire, Sarek n'aurait jamais dû venir sur une planète comme la vôtre.
— Une dérogation ? décidée par qui ?
Skylar était visiblement furieuse. Sarek l'avait piégée, et elle devait quand même rester dans l'espace ?
— Ne vous inquiétez pas, tenta l'Amiral pour calmer le jeu.
— Que je ne m'inquiète pas, Amiral ? répondit Skylar en ôtant d’un geste la veste de l'Amiral et en se levant. Officiellement, je n'ai fait que dire oui, je n'ai rien signé, aucun document attestant que je fais partie de cet… ce foutu équipage.
L'Amiral se leva à son tour. Elle n'avait pas peur de lui. Elle était en colère. Il venait également de comprendre que les Humains faisaient partie des espèces entièrement gouvernées par des règles et des conventions.
— Écoutez, je vais faire tout mon possible pour que vous puissiez retourner sur votre planète, d'accord ? mais avant tout, il vous faut vous reposer, vous êtes exténuée. Laissez-vous ausculter par un des médecins. Nous ne quitterons pas Emere tant que l'enquête ne sera pas bouclée ici.
— Non. Je veux parler à Sarek. Et aux autres. Je veux les voir et leur parler. Maintenant.
— Je ne pense pas que ce soit une bonne idée.
— Ils vous doivent des explications, n'est-ce pas ?
— Oui, mais…
— Je veux être là quand vous les interrogerez, coupa-t-elle le plus sérieusement du monde.
L'Amiral n'était pas certain que ce soit une bonne idée, mais peut-être seraient-ils plus enclins à parler si elle était là durant l'interrogatoire ?
Un silence, puis finalement, il accepta. Tant qu'à faire, ils iraient les interroger maintenant. Il ordonna à travers son communicateur qu'on les amène ici même, dans la grande salle.
Quelques minutes passèrent, et finalement, quelques membres armés arrivèrent avec l'équipage, poings serrés et menottés. Ils paraissaient presque pathétiques, s'était dit Skylar en les voyant, comme s'ils n'avaient guère dormi eux aussi. Elle les regardait les uns après les autres, et soudainement, elle avait l'impression qu'ils regrettaient vraiment de l'avoir vendue.
Aucun d'entre eux n'avait réellement eu le temps d'observer l'humaine en arrivant sur Emere. L'Amiral les avait fait mettre aux arrêts dès qu'ils avaient débarqué. Et maintenant qu'ils la voyaient, quelque chose semblait se briser en eux. Sa robe blanche était rouge de sang, tout comme son visage et ses mains. Mais ce n'était pas son sang. Qu'avait-il bien pu se passer ici ? tous lancèrent un regard interrogateur à Sarek. Si Skylar avait mieux connu chacune de leurs espèces, elle aurait pu deviner ce que cela signifiait. Mais à l'heure actuelle, ça lui était égal, elle voulait des explications.
Six chaises furent amenées pour les six membres de l'équipage. Six gardes les firent s'asseoir de force et restèrent prostrés derrière eux. Skylar et l'Amiral s'installèrent à leur tour sur deux chaises en face d'eux, avec une petite table au milieu et l'enregistreur au centre de celle-ci.
— Skylar… tenta Sarek.
— Silence, coupa l'Amiral. Vous n'êtes pas autorisé à parler sans y avoir été invité.
Un silence.
— Bien, reprit-il en lançant l'enregistrement. Amiral Chennai pour l'interrogatoire du Capitaine Sarek et de son équipage. Ils sont accusés de manipulation et d'utilisation d'autrui, ainsi que d'avoir aidé et participé à un trafic d'êtres vivants pour le compte des Finas De Gla. Veuillez dire votre nom, s'il y a, prénom et rang, dit-il en s'adressant cette fois aux membres du Krœnos.
Sarek et les autres s'exécutèrent tour à tour. L'interrogatoire pouvait commencer.
— Capitaine Sarek, vous et votre équipage venez d'être informés des charges contre vous. Les lois établies par Siirus et l'Académie interdisent le trafic d'êtres vivants. Selon comment va se dérouler cet interrogatoire, vous pourrez être destitués et mis aux arrêts, quant au Krœnos, il sera mis sous-scellé ou sous la direction d'un nouveau Capitaine. Comprenez-vous bien ceci ?
— Oui...
— Bien. Commençons. Vous êtes-vous, oui ou non, rendus sur Terra ?
— Oui, mais…
— Avez-vous, oui ou non, choisi de recruter l'humaine ici présente, prénommée Skylar Hogan ?
— Oui, mais…
— Vous êtes-vous bien rendus par la suite sur le Marché dans le but de conclure la vente de l'humaine aux Finas De Gla ?
— Amiral !
— Répondez à la question, Sarek.
Un silence. Même si Skylar voulait les voir en prison, elle était quelque peu choquée par l'attitude de l'Amiral. Il ne laissait aucune chance aux membres du Krœnos de s'expliquer. Skylar le regarda du coin de l'œil, incertaine de ce qui était en train de se passer.
— Oui... bafouilla Sarek.
— Vous confirmez donc avoir participé à un trafic d'êtres vivants.
— Amiral, attendez… fit Vahrak.
— Vous serez donc mis aux arrêts et…
— Amiral ! s'exclama à son tour Skylar.
Étonnamment, il s'était tu. Tous la regardaient, elle avait de nouveau cette lueur dans les yeux, mais cette fois c'était à l'égard de l'Amiral. Ce n'était pas un interrogatoire qu'il faisait là.
— Ce n'est pas un interrogatoire que vous faites, mais une manipulation des faits pour votre bon plaisir.
— Écoutez…
— Non, vous, vous m'écoutez. Vous les avez fait venir pour parler, alors vous allez les laisser parler.
Un silence. Sarek et les autres observaient intensément Skylar, qui elle fixait l'Amiral. C'en était presque effrayant. Personne ne lui avait parlé ainsi depuis bien longtemps. Mais elle prenait leur défense, c'était parfait pour eux.
Les humains, surprenants de jour en jour. L'Amiral sembla esquisser une grimace ou un sourire, quoique ce soit, il allait dans sa direction à elle.
— D'accord, d'accord. Capitaine Sarek, vous pouvez vous exprimer librement.
— Mon équipage et moi-même nous sommes bien rendus sur la Terre, commença Sarek en prenant une bonne respiration, notre but premier était de recruter un humain. Il est vrai que nous avions dans l'idée de le vendre aux Finas De Gla, mais non pas pour nous enrichir, mais pour mettre fin à ce trafic !
— Vous avez pourtant pris l'argent.
— L'argent ne nous intéresse pas, Amiral, vous pouvez le récupérer. Le fait est que nous étions au courant de tout ce que faisaient les Finas, nous étions au courant que des Capitaines de l'Académie étaient impliqués, mais sans preuves, rien ne pouvait être fait. Alors nous avons pris contact avec eux, par les Intermédiaires. Ils voulaient un humain, alors nous leur en avons fourni un. Mais le but, c'était ensuite de les retrouver pour récupérer toutes les preuves afin de mettre fin à tout ceci ! Skylar, je suis désolé.
Skylar le regarda dans les yeux. Une larme coula le long de sa joue. Alors, ils l'avaient simplement utilisée ? soit, c'était pour une bonne cause, mais tout de même…
— Alors, j'étais juste un moyen d'arriver à vos fins…
— C'est plus compliqué que ça, Skylar.
— Pas de mon point de vue, non.
— C'est donc pour ça que vous êtes ici ? vous avez retrouvé la trace de votre membre d'équipage afin d'avoir toutes les preuves de ce trafic ? c'est donc une sorte de… mission de secours ? demanda l'Amiral.
— Exact.
— Mais comment vous, vous avez pu arriver jusqu'ici ? demanda à son tour Vahrak en se rendant compte de quelque chose. Pourquoi vous êtes là ?
— Grâce à l'humaine Hogan.
Un silence.
— Elle est parvenue à m'envoyer un message il y a trois jours emerestre, reprit-il. Toutes les preuves de ce trafic sur les 10 dernières années y étaient attachées.
— Quoi ? comment…
— Maître Acef, intervint Skylar. Facilement manipulable. Donnez-lui votre chair et il détournera les yeux. Prenez-lui son arme et il vous obéira.
Tout le monde l'observait en silence, comprenant peu à peu ce qu'elle avait dû faire pour survivre. Elle n'avait pas eu besoin d'être secourue, elle s'était débrouillée seule. Sarek avait raison, les humains étaient bons pour survivre.
— Où est-il maintenant ? demanda Grige Khen qui connaissait très bien la réponse.
— Mort.
Plus aucun bruit n'était perceptible. C'était à peine s'ils osaient respirer.
— Amiral, dit Sarek en coupant ce silence pesant, je sais que nous avons très mal agi, les protocoles n'ont pas été respectés, mais si vous aviez été mis au courant de ce plan, vous auriez refusé et rien n'aurait été fait.
— Ça, c'est sûr.
— Je vous en supplie, si vous devez destituer quelqu'un, que ce soit moi. Mon équipage n'a fait qu'obéir à mes ordres.
— Inutile de me supplier, Capitaine. Vous et votre équipage êtes libres. Enlevez-leur leurs menottes, ordonna-t-il.
— Libres ?! s'exclama Skylar en se levant si vite que sa chaise tomba à la renverse. C'est une blague ?!
— Non, j'en ai bien peur. Ils auront une amende pour non-respect du protocole et un blâme. Et évidemment, tant que l'enquête ne sera pas terminée ici, le Vaisseau ne décollera pas.
— J'n'en ai rien à foutre de votre Vaisseau, putain !
— Je sais que c'est incompréhensible pour vous, mais son plan est digne d'un Capitaine… fit l'Amiral en se levant à son tour.
Les six membres d'équipage avaient été libérés de leurs menottes et s'étaient levés à leur tour. Ils regardaient Skylar, elle était tellement en colère. Elle se recula de quelques pas et les observa, c'était une blague, ça devait être une blague. Libre ? avec une simple amende et un blâme alors qu'ils l'avaient manipulée, utilisée, vendue, trahie ? leur monde était incompréhensible.
— Vous êtes fous… Votre Univers est fou ! s'exclama-t-elle en sortant en trombe de la salle.
Sarek tenta de la suivre, mais Vahrak l'en empêcha d'une main. Elle avait besoin de digérer tout ça, c'était trop pour elle. Eux seraient maintenus ici en attendant, quant à Skylar, elle était perdue. Elle aurait dû suivre Atalaya, elle le savait maintenant… Elle voulait retourner chez elle, mais maintenant qu'ils étaient libres, elle savait qu'elle ne le pourrait plus. Elle retourna dans sa « chambre » où elle avait laissé ses affaires. Elle s'assit sur le lit, sur la chaise, il y avait toujours ses vêtements bien pliés. Elle tenta de calmer sa respiration. Elle regarda ses mains toujours pleines du sang séché de Maître Acef, elle observa sa robe et constata qu'elle était elle aussi toute rouge. Tous les souvenirs de ce qui lui était arrivé ces dernières semaines semblèrent se déverser tel un tsunami dans sa tête. Elle glissa sur le sol, se tint la tête, pleura et cria. Il n'y avait rien d'autre qu'elle pouvait faire pour l'instant.
Une bonne vingtaine de minutes terrestres passèrent lorsqu'elle finit par se calmer. Elle faisait partie de l'équipage. D'accord, pourquoi pas. Elle l'avait voulu après tout. Voir l'Univers. Elle se leva, prit ses affaires contre elle et sortit de la chambre. Elle en avait assez d'être une victime dans toute cette affaire. Elle ne voulait plus qu'ils lui marchent dessus. Elle connaissait les humains par cœur, maintenant il lui fallait apprendre à connaître l'Univers.
Skylar sortit de la demeure des Finas, les deux cadavres des Gardes avaient été couverts d'un drap blanc. Elle les observa un instant puis partit d'un pas décidé vers le Krœnos. Partie de l'équipage, partie du navire. Ils l'avaient voulu.
Qidell et Ilki'thelae étaient assis à l'entrée et discutaient. Quand ils la virent arriver droit vers eux, ils se levèrent.
— Skylar… commença Qidell.
Mais elle ne voulait rien entendre et monta dans le Vaisseau sans un regard. Elle se rendit sans mal jusqu'à ses quartiers. Tout était comme elle l'avait laissé, il lui semblait que c'était il y a très longtemps. Elle jeta ses affaires sur son lit et sortit. Elle savait ce qu'elle devait faire : confronter Sarek. Skylar se rendit dans la cuisine, mais il n'y avait que Grige.
— Où est-il ? lui demanda-t-elle sans préambule.
— Qui... ?
— Vous savez très bien qui ! où il est ?!
— Le… le poste de Commande, répondit-il pris au dépourvu. Attendez… Skylar !
Mais elle partait déjà vers le poste de Commande malgré les protestations de Grige. Il la suivait difficilement, elle était étonnamment rapide pour quelqu'un qui venait de vivre l'enfer. En chemin, ils croisèrent de nouveau Ilki et Qidell, qui se mirent également à la suivre. Elle débarqua en trombe sans avoir été invitée dans le poste de Commande, les trois autres sur ses talons. Surpris, Sarek, Vahrak et Craarrain, qui étaient en train de parler, se tournèrent en même temps. Poings serrés, regard vif, elle semblait prête à bondir. En moins d'une seconde, elle se trouva en face de Sarek et lui donna un coup de poing en plein dans la joue. Même s'il était nettement plus grand qu'elle, ça ne l'arrêtait pas.
— Ça va, tout va bien, fit Sarek alors que les autres voulaient intervenir.
— Vous connaissez les règles, vous n’avez pas le droit de toucher le Capitaine ! s’exclama Vahrak.
— Oh ! ne me parlez pas de règles ! mon espèce est gouvernée par des règles ! mais quand on nous trahit... oh que Dieu vienne en aide à celui qui nous a trahis, parce qu'il ne sera jamais en sûreté !! et vous m'avez trahie, chacun d'entre vous, répondit Skylar avec de la haine dans les yeux.
— Ce n'est pas ce que vous pensez, Skylar… tenta Sarek.
— Si ça l'est ! vous m'avez menti, vous m'avez utilisée. Vous avez dit avoir besoin d'un humain, vous avez dit que c'était parce que nous étions « utiles pour survivre », mais c'était que mensonge ! vous aviez besoin d'un humain pour votre stupide mission ! jamais vous n'avez pensé à me mettre dans la confidence ?! ça ne vous est jamais venu une seule fois à l'esprit, bande de tarés !
— Parce que vous auriez accepté peut-être de jouer l'appât si nous vous l'avions dit ?
— OUI ! pour aider des innocents, oui !
De la confusion fut visible sur le visage de chacun d’entre eux.
— Mais au lieu de ça, vous l'avez joué perso, vous avez trahi ma confiance et m'avez utilisée comme un vulgaire pion !
— Je suis désolé. Ce n'était pas le but, ce n'est pas ce que nous voulions ! s'exclama Sarek conscient du mal qu'ils lui avaient fait.
— Vous n'avez même pas conscience de ce que j'ai dû faire… putain… j'ai tué des gens parce que je me pensais seule et abandonnée ! à cause de vous… dit-elle la voix brisée par l'émotion. Il va vous falloir plus qu'un « désolé » pour vous faire pardonner.
Elle le regarda dans les yeux un court instant puis ressortit. Elle avait dit ce qu'elle avait sur le cœur même si elle aurait aimé en dire plus. Ce qui est fait est fait, elle devrait apprendre à vivre avec maintenant.
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