— Imaginons qu'un extraterrestre vienne vous poser une seule question.
— Laquelle ?
— Vous pouvez venir avec moi, sur mon vaisseau. Je vous offre les étoiles, l'espace, et tout ce qui se trouve là-haut…
— Mais ?
— Mais l'unique condition est que vous ne pourrez plus jamais revenir sur votre planète. Est-ce que vous viendriez ?
Cette conversation devenait de plus en plus intéressante. Ce qui était parti pour n'être qu'une attente ennuyeuse s'était transformé en un vrai débat philosophique. Skylar Hogan était en deuxième année de doctorat en Anthropologie Évolutive. Elle n'avait jamais passé son permis, c'est pour cela qu'elle était encore là, à attendre un bus toujours en retard. Comme à son habitude, elle regardait le ciel bleu rougeâtre annonçant une fin de journée. Perdue dans ses pensées, elle n'avait pas entendu lorsqu'un jeune homme, probablement de son âge, avait commencé à lui parler. Il avait dit s'appeler Sarek, "comme dans Star Trek," lui avait-elle dit, mais devant son expression confuse, elle avait compris qu'il n'était pas familier avec la référence. Quel dommage.
Il avait continué à discuter avec elle, lui demandant son prénom et son nom. Elle savait qu'il était étranger, car ici, parler de sa vie privée à un inconnu n'était pas normal, mais elle le fit quand même. Quelque chose chez lui l'avait mise en confiance. Elle lui dit brièvement qu'elle regardait le ciel, se demandant comment étaient les étoiles et les galaxies. Puis la conversation avait rapidement tourné autour de ce sujet. Il voulait savoir pourquoi elle aimait l'espace alors que lui pensait que c'était "vide et terrifiant." Elle avait répondu qu'au contraire, c'était plein et passionnant.
Skylar aimait particulièrement l'espace et les étoiles, connaissant pratiquement toutes les sortes d'objets célestes. Elle se plaignait souvent de ne pas être née à la bonne époque.
Ce Sarek venait de lui poser une question, ou plutôt un dilemme très intéressant. Si un alien venait vous proposer de partir avec lui pour voir l'espace et les étoiles, vous offrant l'Univers, mais en contrepartie, vous ne pourriez plus jamais revenir sur votre planète, le feriez-vous ? La réponse pour Skylar était déjà claire dans sa tête.
— Oui.
Sarek la regarda, bouche bée. Elle avait répondu oui. Tous les humains à qui il avait posé ce dilemme avaient répondu "non", elle était la seule à avoir répondu positivement.
— Oui ? répéta-t-il. Mais si vous acceptez, vous ne pourrez plus jamais revoir votre planète.
— Je sais, répondit-elle avec un sourire, mais cet hypothétique alien m'offrirait l'Univers, comment dire non ?
— Mais la Terre ne compte-t-elle pas ?
— J'aime la Terre, et il est très probable que je pleure tous les soirs en regrettant mon choix, mais du moment où je poserai le pied sur une planète inexplorée, je ne le regretterai plus.
— Je suis… surpris.
— Vous savez, Homo sapiens est une espèce si seule, nous avons conquis la planète, mais nous sommes extrêmement seuls. On rêve depuis toujours de ce qui peut bien y avoir là-haut, dit-elle en montrant le ciel, on veut y aller à tout prix. Aujourd'hui, on rêve de l'espace, on rêve que quelqu'un descende sur la Terre et vienne nous dire qu'on n'est pas seuls. On se fait la guerre, mais nous n'sommes que des enfants, nous ne voulons que des amis.
— C'est profond.
— Je suis née ici, j'ai grandi ici, et je mourrai probablement ici. J'aime ma planète, mais si un alien venait m'offrir l'Univers et qu'en contrepartie, je n'puisse jamais revenir sur la Terre, j'accepterais.
Sarek venait de trouver sa perle rare, il n'eut pas le temps de répondre qu'elle se levait déjà. Son bus arrivait.
— Je suis désolée, il faut que j'y aille, dit-elle en faisant signe au bus, mais merci, ce fut vraiment une agréable conversation.
Elle le salua de la main et monta dans le bus. Sarek la salua en retour et appuya sur son oreille, là où se cachait son oreillette permettant de communiquer avec son Vaisseau.
— Vahrak ? dit-il.
— Oui ? répondit une voix féminine.
— Je l'ai trouvé, l'humaine qu'il nous faut !
— Réellement ? tu es sûr ?
— Oui ! j'arrive, j'ai son nom et prénom, nous pourrons la retrouver plus facilement.
— Ça va, on t'attend.
Sarek partit vers le centre-ville. Cela faisait quelques semaines que lui et son équipage avaient débarqué sur Terre. Il commençait à comprendre comment les Humains fonctionnaient. Il était le Capitaine du Krœnos et il avait absolument besoin de recruter un humain. Mais ces créatures-là semblaient tous avoir un lien profond avec leur planète et chaque personne à qui il avait posé ce dilemme avait répondu négativement. Tous voulaient voyager dans l'espace, mais aucun ne souhaitait le faire s'ils ne pouvaient plus y revenir. Jusqu'à ce qu'il tombe sur cette femme, Skylar, il lui avait posé le même dilemme, et elle avait répondu oui. Elle avait même expliqué son choix. Il savait maintenant que c'était elle qu'il voulait. Elle n'avait jamais voyagé dans l'espace et ne connaissait sûrement rien à l'ingénierie ou au pilotage, mais ce n'était pas un souci, il n'y avait pas besoin qu'elle sache tout ça. À présent, il fallait qu'elle accepte réellement de venir, pour elle ce n'était qu'une conversation avec un inconnu.
Sarek arriva finalement dans la chambre d'hôtel qu'il avait payée pour un séjour indéfini.
— Vahrak ? j'y suis.
— J'active la balise.
La balise était ce qui permettait à son équipage de le récupérer, une sorte de téléportation. La balise n'était que rarement utilisée, uniquement sur les planètes qui ne savaient pas encore qu'elles n'étaient pas seules dans l'Univers. Sur les autres planètes, ils pouvaient y atterrir en toute sécurité. Ici, il fallait qu'il se cache, et qu'il cache son Bâtiment des radars.
Un flash vert enveloppa Sarek et en moins d'une seconde, il se retrouva sur son Vaisseau. Le Krœnos était immense, lumineux, mais ressemblant à un labyrinthe pour toute personne n'y ayant jamais mis les pieds. Vahrak l'accueillit lorsqu'il arriva.
Vahrak et Sarek étaient de la même espèce, dits "Fortis", des créatures humanoïdes mesurant entre 1,90 m et 2 m, à la peau bleuâtre, aux longs bras avec trois doigts, et marchant sur leurs ongles comme les sabots des chevaux, mais plutôt musclés. Ils avaient deux grands yeux bleus et noirs. C'étaient des créatures assez impressionnantes. Sarek avait à son poignet le Bracelet du Capitaine qui lui permettait de projeter une image d'un humain normal dans l'esprit des humains lorsqu'il était sur Terre. Dès qu'il arriva sur son Bâtiment, il désactiva sa projection. Lui et Vahrak se rendirent en direction du poste de Commande.
Le Vaisseau était en orbite autour du satellite naturel des terriens, qu'ils appelaient communément la Lune. En arrivant au poste de Commande, le poste de l'Ingénieur était occupé, justement ce qu'il lui fallait.
— Encore combien de temps à mijoter ici, Capitaine ? demanda Ilki’thelae, l'ingénieur du Vaisseau.
Ilki’thelae ressemblait à ce que les humains nomment les "petits gris", mais il était de la race de Silurin. Il mesurait 1,20 m, était humanoïde, possédait de longs membres, était très maigre et avait une peau rougeâtre avec de grands yeux noirs globuleux. C'était un être d'une extrême intelligence.
— Très peu, j'espère. J'en ai enfin trouvé un. Une en particulier, elle a répondu positivement au dilemme.
— Je ne pensais pas les humains capables de ça, dit Vahrak. D'après ce que nous avons pu observer, ils semblent avoir un lien unique avec leur planète. Es-tu sûr que cette humaine est réellement humaine ?
— Oui, sûr et certain, elle s’est décrite comme étant une "rêveuse". Ça paraît être une catégorie d’humains particulièrement aptes à partir sans se retourner. C'est elle qu'il nous faut.
— Bien, plus qu’à la recruter, continua Ilki’thelae, un moyen de la retrouver ?
— J'ai son nom et prénom, d’après leurs différents réseaux, je pense que nous pouvons la retrouver, répondit Sarek.
— Alors allons-y, voyons voir ce qu’il y a sur elle. Nom et prénom ?
— Hogan Skylar, lieu de résidence quelque part dans la ville où nous avons dernièrement atterri.
Ilki’thelae entra le nom et prénom dans le système et n’eut à patienter que quelques instants. Un seul résultat en est sorti. Il fit un regroupement de toutes les informations et parla.
— Bien, j’ai une Skylar Hogan, dit-il alors que le visage de la femme et ses informations personnelles défilaient à côté. Deuxième année de Doctorat en Anthropologie Évolutive, si tant est que cela signifie quelque chose. Licence en Biologie et Anthropologie, Master en Anthropologie… Ok, je suis désolé, mais je ne comprends pas tout là. Qu’est-ce que Licence, Master et Doctorat ? ça nous fournit quoi comme information ?
— Ce sont des degrés d'études, Ilki, informa Vahrak. Cela signifie qu'elle est extrêmement intelligente.
— Un lieu de résidence ?
— J'ai une adresse, mais je ne suis pas sûr qu'elle soit juste.
— Envoie-la sur mon Bracelet, je ferai le reste.
— Tu redescends sur Terre, Capitaine ? demanda Vahrak.
— Oui, il faut bien finir le recrutement.
Sarek salua son équipage et se dirigea de nouveau vers le lieu de téléportation avec Vahrak. En moins d’une seconde, il se retrouva dans sa chambre d’hôtel. Il attendrait que la nuit tombe pour se rendre chez elle. Mais pour l’instant, il fallait trouver où était son chez-elle. Ilki lui avait donné une adresse, mais il n’était pas certain qu’elle soit juste. Il s'y rendit et aperçut finalement l'humaine sur son balcon, penchée pour regarder le ciel. Il était certain que c’était elle. Sa longue chevelure bouclée noire coulait le long de son épaule. Elle ne l’avait pas vu, par chance. Il savait ce qu'il devait faire ce soir. Il retourna à sa chambre d’hôtel et attendit que la nuit avance.
Skylar, habitant seule dans un vaste appartement, sans animaux ni famille, s'assit quelques minutes pour observer les étoiles avant de finalement fermer ses volets et se coucher. Alors que la nuit était bien avancée, des coups sur ses volets la réveillèrent en sursaut. Elle se leva et alluma la lumière, mais le bruit ne recommença pas. Était-ce un rêve ? elle voulait en être sûre, alors elle ouvrit ses vitres et poussa ses volets. Quelle ne fut pas sa surprise d’apercevoir devant elle Sarek, le jeune homme qui lui avait parlé le jour même ! mais que faisait-il ici ? comment pouvait-il être sur son balcon alors qu'elle était au 3e étage ? surprise et effrayée, elle se recula de quelques pas.
— Qu’est-ce que c’est que ce bordel ?! s’écria-t-elle. Comment… qui êtes-vous ?! comment vous savez où j’habite, et bon sang, comment vous pouvez être sur mon balcon ?!
— Je suis désolé de vous effrayer, vraiment, répondit Sarek en s’avançant doucement vers elle, ce n’était pas mon but.
— Vous débarquez chez moi, en pleine nuit, sur mon balcon ! je n'vous connais pas, on n's'est parlés qu’une seule fois !
— Peut-être que cela vous dissuadera d’appeler les autorités.
Sarek porta la main à son Bracelet et désactiva l’illusion. Skylar le regarda bouche bée, réalisant qu'elle avait désormais un véritable alien chez elle. Le côté humain cambrioleur semblait presque plus rassurant, mais étrangement, elle ne recula pas. Cette créature, cet alien, était gigantesque à côté de ses 1,60 m, mais il paraissait si majestueux, si différent de tout ce qu’elle avait pu voir ou rêver. Elle n’en croyait pas ses yeux, c’était comme si elle était encore en train de rêver. Sarek était maintenant à l’intérieur de chez elle et ne savait pas quoi dire ni quoi faire. Il avait pensé que lui révéler son identité pourrait la dissuader d’appeler les autorités, mais cela pouvait aussi avoir l'effet contraire. Lorsque des larmes se mirent à ruisseler le long de ses joues, il comprit bien vite ce que cela signifiait. En observant les humains, il s’était rendu compte que cette réaction était naturelle lorsqu’ils étaient effrayés ou tristes.
— Non, je vous en prie, je ne voulais pas vous effrayer, vraiment !
— Non… je… ce n’est pas ça, je n’ai pas peur, je suis…
— Vous êtes ?
— On n'est pas seuls, souffla-t-elle en esquissant un sourire, oh mon Dieu… Vous êtes un alien, un extraterrestre ? un vrai de vrai ?
— Oui, j’en suis un, répondit-il en essayant de lui sourire à son tour.
Sourire n’était pas une réaction naturelle chez les Fortis, ils considéraient cela comme une menace, alors que les humains considéraient cela comme un moyen d’exprimer leur joie. Il essaya d’adopter certaines de ses réactions émotionnelles pour lui montrer qu’il n’était pas méchant, mais le résultat fut peu concluant. Skylar s’assit sur son lit, semblant presque perdue. Sarek vint à ses côtés.
— Je suis désolé de m’introduire de la sorte.
— Pardon, il faut juste un temps d’adaptation… juste… merde. On n'est pas seuls, il y a des gens là-haut, dit-elle en faisant référence à l’espace.
— Plus que vous ne le pensez.
— Mais pourquoi personne ne vient ? pourquoi personne ne prend contact avec nous pour nous assurer que nous ne sommes pas seuls ? lança-t-elle, de nouvelles larmes coulant le long de ses joues.
— Vous n’êtes pas prêts, vous êtes loin de l’être.
— Donc les gens, mon peuple, ils vont vivre toute leur vie en pensant que l'on est seuls ou que l'on ne vous mérite pas ? c’est ça ?
— Ce n’est pas une question de mérite ou non, c’est juste que… vous êtes un peuple de Type 1, pour que nous puissions entrer en contact avec vous, vous devez évoluer jusqu'au Type 2, voire 3, cela dépend parfois. Nous vous observons, mais nous n’avons pas le droit d’intervenir dans votre évolution et dans vos vies en général.
Un silence s'installa. Skylar sécha maladroitement ses larmes.
— Ok… ok, reprit-elle en reprenant le contrôle. Vous venez de dire que vous n’avez pas le droit d’interférer dans notre évolution, ni dans nos vies. Mais pour dire vrai, c’est ce que vous êtes en train de faire avec moi. Actuellement.
— Vous êtes intelligente. Certaines personnes ont des autorisations spéciales.
— Comme vous.
— Exactement comme moi. Je suis un Capitaine, mon Vaisseau est en orbite autour de votre satellite. Écoutez-moi bien. Ce que je vous ai demandé lorsque vous attendiez votre transport n’était pas qu’une question hypothétique, s'en…
— C’était vrai ! oh merde… vous… vous êtes réellement en train de me proposer de venir sur votre Vaisseau pour voir les étoiles ? voir l’Univers ?
Skylar le regarda confuse mais en même temps complètement perturbée. C’était vrai, son dilemme était réel ! sur le moment, elle avait répondu oui, c’est pourquoi cet alien était là, chez-elle. Mais aurait-elle encore la force de répondre positivement en sachant que tout est vrai ? elle se leva et regarda dehors. Les étoiles étaient étrangement brillantes et claires, comme si elles étaient soudainement devenues plus vraies que nature. Il lui proposait d’explorer l’Univers, de marcher parmi les étoiles, mais en contrepartie…
— Mais je n'pourrais plus jamais revenir sur ma planète.
— Oui. C’est la seule condition, dit-il en se plaçant à un pas derrière elle.
Skylar observa le ciel, puis son regard se posa sur les alentours. Maintenant que la perspective de ne plus voir sa planète était réelle, les arbres, les montagnes et les immeubles non loin semblaient plus beaux, comme si c'était la première fois qu'elle les voyait. C'était son choix, sa vie, personne pour la forcer et personne pour l'en empêcher. Son rêve. Une vie banale sur Terre ou une vie d’aventure dans l’espace.
— Pourquoi ?
— C’est la seule règle. Mais si cela peut vous rassurer… Si vous venez à perdre la vie là-haut, nous sommes dans l’obligation de rendre votre corps à votre planète.
— Bien sûr, fit-elle en esquissant un sourire, on revient toujours chez soi.
— Exactement.
Un nouveau silence s'installa. Skylar se tourna vers lui, vers cet alien dont elle avait tant rêvé qu’il soit vrai. Que pourrait-elle faire maintenant ? devrait-elle accepter ou non ? tant de nouvelles questions se bousculaient dans son esprit.
— Pourquoi la Terre ? pourquoi venir sur une planète avec une civilisation de Type 1 ? en quoi recruter un humain vous sera utile ?
— Vous semblez poser les bonnes questions. J’ai besoin d'un humain. Le Glossaire affirme que vous êtes utiles, curieux, que vous savez survivre, que vous pourriez un jour être un merveilleux atout.
Mais Skylar n’eut pas le temps de répondre que Sarek reprit :
— Vous connaissez le dilemme, vous connaissez la condition, je ne vous forcerai pas à venir avec moi, cela doit être votre choix et uniquement le vôtre. Demain, lorsque le soleil se couchera, je retournerai sur mon Vaisseau. Si vous acceptez, retrouvez-moi sur le terrain vague qui borde votre immeuble, si vous refusez, ne venez pas. Votre vie, votre choix, dit-il avant de partir dans un flash vert.
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