Il était 4 h 20 du matin lorsque Skylar regarda son téléphone. Après que ce Sarek eut littéralement disparu dans un flash vert, la jeune femme ne put se résoudre à dormir. Ce qu’il lui avait dit lui trottait encore et encore dans la tête avec toujours plus de questions. Il avait dit avoir besoin d’un humain, pourquoi ? il avait dit qu’"ils" les observaient, mais qui étaient ces "ils" ? et quel était ce Glossaire dont il parlait ? c’était un alien, un vrai, de vrai… En quoi un humain peut-il lui être utile ? il était Capitaine d’un Vaisseau. Tout ça, c’était bien arrivé ? ce n’était pas un rêve ? Skylar ne savait plus que penser. Elle se leva et se rendit dans la cuisine : "en cas de doute, manger".
Elle passa toute la fin de la nuit à réfléchir, lorsque le soleil se leva, elle pensait avoir pris sa décision. L’Univers contre la Terre. Elle ne pouvait pas passer à côté de cette occasion. Elle viendrait à le regretter, elle le savait. Elle rêvait de ce moment depuis son enfance, depuis qu’elle avait trouvé dans les livres et les étoiles un moyen d’échapper à sa famille. Mais même si elle ne leur parlait plus, le souci restait le même, était-elle prête à abandonner sa vie pour suivre une créature inconnue venant des étoiles ? était-elle prête à passer le reste de sa vie loin de la Terre ?
Elle appela son laboratoire et informa qu'elle ne pourrait pas venir aujourd'hui, il lui fallait du temps pour réfléchir et si elle venait à partir, il fallait aussi qu'elle sache que prendre avec elle. Quels vêtements, quels livres, des photos et son ordinateur ? elle devait voir tout ça. Choisir que prendre avec elle pour un voyage d'une vie… Et devait-elle dire adieu ? une lettre ou juste un au revoir mystérieux ? elle ne comprenait pas pourquoi son esprit était déjà persuadé qu’il lui faudrait dire au revoir. C'était là pure folie ! elle était si perdue…
La journée avança, en milieu d’après-midi, elle avait déjà fait ses valises, même si elle n’était toujours pas sûre d’elle, elle devait les faire. Un sac à dos, un sac de voyage et une valise, voilà toute sa vie empaquetée dans trois sacs. C’était une étrange sensation. Ses bagages étaient au milieu de son salon, elle était assise et les observait depuis maintenant une demi-heure. Elle regarda sa montre, l’alien, Sarek, lui avait donné jusqu’au coucher du soleil. Elle avait jusqu’au crépuscule pour prendre sa décision. Son esprit s’était étrangement habitué à la vérité, les extraterrestres existent et ils visitent la Terre. Peut-être l’avait-elle toujours su, une éternelle rêveuse. Elle ne savait pas quoi faire, et plus elle réfléchissait, plus elle se sentait perdue. Le soleil se coucherait bientôt, il fallait qu’elle prenne sa décision.
Sarek patientait depuis une heure et demie terrestre sur le terrain vague qu’il lui avait indiqué. Le soleil était presque couché, il aurait dû partir depuis une heure déjà, il commençait à se dire que finalement, elle ne viendrait pas. Il avait été pourtant certain de son choix ! c'était elle, l’humaine dont il avait besoin. Sans humain, tout tombait à l'eau, ils n’avaient plus de temps pour en trouver un autre. Il regardait leur soleil se coucher, diffusant une lumière orangée, il avait promis à son équipage qu’ils partiraient d’ici ce soir. En parlant d’équipage, celui-ci l’appelait. Sarek appuya sur son oreille, là où l’oreillette se trouvait.
— Oui ?
— Est-elle arrivée ? demanda Vahrak.
— Non, toujours pas… répondit Sarek résigné.
— Tu avais dit jusqu’au coucher du soleil.
— Je sais.
— Et elle n’est toujours pas là.
— Elle viendra, je sais qu’elle viendra.
— Sarek …
— Nous attendons encore un peu.
Et il coupa la communication. Sarek passa une main dans ses cheveux holographiques. Il n’avait pas pu se tromper comme ça, elle était supposée être la bonne.
— Vous ne devriez plus être là, dit une voix derrière lui.
Sarek se retourna. L’humaine, Skylar, était bien là avec ses valises. Elle était venue comme il l’avait prévu. Il avait bien fait d’attendre. Il s’approcha doucement d’elle, mais constata que son regard avait changé, elle n’avait plus peur, elle était différente d’hier. Ses longs cheveux noirs voletaient derrière elle et ses yeux luisaient d’une émotion qu’il ne connaissait pas.
— Vous êtes venue, répondit Sarek.
— Et vous avez attendu. Le soleil se couche, vous devriez déjà être loin.
— Je sais, mais je devais attendre.
— Vous saviez que je viendrais ?
— Je l’espérais.
— J’ai longuement hésité, jusqu’à ce que le soleil se couche, j'ignorais encore si j’allais vous suivre.
— C’est une lourde décision. J’ai besoin d’être certain que vous êtes sûre de votre choix, que vous ne regretterez rien.
— Oh, mais je le regretterai sûrement jusqu’à la fin de ma vie. Je vous l’ai déjà dit. Mais ce que je regretterai le plus, c’est de n'pas vous suivre aujourd’hui. Vous m’offrez les étoiles, je n'peux pas dire non.
— Ce sera très probablement dangereux.
— Je sais.
— Et je ne serai pas toujours là pour vous protéger, avertit Sarek.
— Je le sais aussi.
— Il y a énormément de choses qu'il vous faudra apprendre en très peu de temps.
— Le Glossaire, ça m'aidera ? demanda-t-elle.
Sarek l'avait vaguement mentionné lorsqu'il était venu dans sa chambre. Ça devait être important.
— Oui, dit-il, surpris, tout ce que vous avez à savoir sur les mondes extérieurs au vôtre est consigné dans le Glossaire.
— Comme les planètes déjà découvertes ? les galaxies et tout autre objet céleste ? les différentes espèces d'alien, leurs us et coutumes ?
— Oui ! et bien plus.
Skylar esquissa un sourire, tout ce dont elle avait rêvé lui était servi sur un plateau, mais son intuition vacillait encore. Quelque chose n'allait pas, c'était trop beau. Sarek avait dit avoir besoin d'un humain, il lui avait donné des raisons vagues et ça ne l'avait pas convaincue pour autant. Il cachait quelque chose.
Son sourire s'effaça comme il était arrivé. Elle déposa son sac-à-dos à côté de ses valises, fit quelques pas en arrière, se tournant et regardant les montagnes et le soleil se couchant derrière elles. C'était le dernier coucher de soleil qu'elle verrait de sa planète, c'était la dernière fois qu'elle voyait ces montagnes, ces immeubles, ces gens… Elle partait pour un avenir incertain, sans savoir si tout ça n'était pas qu'un immense piège.
— Est-ce que tout va bien ? demanda Sarek en se rapprochant d'elle, quelque peu contrarié par ce changement soudain d'humeur.
— C'est la dernière fois que je verrai le coucher du soleil.
— Vous en verrez de nombreux autres.
— Mais pas de la Terre. C'est la dernière fois que je pose mes yeux sur ces montagnes, sur ces immeubles, sur ces arbres. C'est la dernière fois, littéralement. La prochaine fois que je reviendrai ici, je serai morte.
Un silence.
— Et j'ai l'étrange sensation que vous n'comprendrez jamais, reprit-elle en se tournant vers lui.
Skylar le regardait dans les yeux, son regard était plus dur que ce qu'elle aurait voulu. Elle se posait encore tant de questions, pas sur ce qu'il y avait là-haut, mais sur les intentions du Capitaine.
— J'essaierai de vous comprendre comme vous essaierez de nous comprendre. Je sais que votre espèce a un lien profond avec sa planète mère, un lien si profond que personne encore n'a réussi à le comprendre. Mais je sais que votre besoin d'aventure et d'exploration vous a poussé à dire oui.
— Que cachez-vous, Sarek ? demanda-t-elle sans cligner des yeux.
— Rien qui ne vous concerne.
Skylar ne répondit pas, elle savait qu'il mentait d'une façon ou d'une autre, elle se contenta de lui sourire. Elle savait qu'il ne devait pas véritablement comprendre ce que cela signifiait, mais actuellement ça lui était égal.
— Je suis prête, lui dit-elle.
— Êtes-vous sûre ?
— Non. Mais à quoi bon attendre ? j'ai dit que je partirai avec vous, alors allons-y.
Sarek était plus qu'heureux, il avait réussi sa mission, il avait enfin un humain dans son équipage. Son hologramme tenta de sourire à Skylar puis il prit une de ses valises, elle prit le reste et il porta sa main à son oreille.
— Vahrak ?
— Toujours là, répondit-elle à l'oreillette.
— Prête à nous téléporter ?
— Sur tes ordres.
— Activation de la Balise.
Et tous deux partirent dans un éclair vert.
En moins d’une seconde, Skylar et Sarek étaient arrivés dans la salle de téléportation, en face d’eux une seule personne, probablement celle qu’il avait appelée Vahrak. Par sa forme et son allure, Skylar comprit que c’était une femme, ou plutôt un représentant du sexe féminin de la même espèce que Sarek. Elle s’attendait à paniquer à la vue d’un autre alien, mais se surprit du contraire.
— Eh, murmura-t-elle.
— Bienvenue à bord, répondit Vahrak en faisant un étrange geste de la main. Capitaine.
— Skylar, voici ma Seconde, Vahrak. Ce sera à elle que vous devez obéir lorsque je ne suis pas à bord, expliqua le Capitaine.
— À vos ordres.
Skylar n'avait pas su que répondre, après tout, c'était sûrement la réponse qu'il attendait.
— Vahrak, emmène ses affaires dans ses quartiers, attendez mes ordres.
La Seconde acquiesça et Skylar partit avec Sarek à l'opposé d'elle. Elle le suivait sans savoir où il la menait, mais au fond, elle savait qu'elle n'avait pas vraiment le choix que d'obéir. Ce Vaisseau ressemblait de plus en plus à un labyrinthe pour l'humaine.
— Vous vous y ferez, dit Sarek comme s'il avait lu dans ses pensées, le plus dur au début sera de vous y retrouver.
— Oh, ok. Où allons-nous exactement ?
— Je voudrais vous montrer quelque chose avant que nous partions définitivement d'ici. Ça va vous plaire, vous verrez.
Tous deux marchèrent encore quelques instants puis débouchèrent sur une large fenêtre. De là, elle avait une vue imprenable sur l'espace et sur sa planète.
— Mon Dieu… murmura-t-elle en se rapprochant de la fenêtre.
— Je voulais vous montrer votre planète avant de partir. Que vous la voyiez dans son entièreté.
— Il… il n'y a que… qu'une poignée de personnes qui l'a vu de l'espace, et j'en fais partie.
— Il n'y a que deux endroits où on peut voir l'espace dans ce Bâtiment, ici, le sas extérieur, et au poste de Commande.
Un silence. Skylar et Sarek ne parlèrent pas durant une poignée de minutes. Quelques larmes coulèrent sur les joues de l'humaine, elle se rendit doucement compte qu'elle faisait maintenant partie de l'Histoire, qu'elle était et serait durant bien des siècles encore la seule humaine à avoir parcouru l'espace.
— Merci, dit-elle en se tournant vers le Capitaine.
— C'est la moindre des choses. Venez, excusez-moi d'avance, mais il faut que vous voyiez le médecin de bord.
— Oh, ok. Pourquoi ?
— Vous ausculter et vous vacciner.
— Les bactéries, évidemment. Attendez, vous êtes vaccinés contre les bactéries et virus humains ? Comment ça se fait ? Je pensais que vous étiez encore dans la phase "étude" ?
— Nous sommes vaccinés ou avons des antidotes contre la plupart des virus connus dans la Galaxie. La première chose que l'on étudie chez une nouvelle espèce, ce sont les virus, parasites et bactéries. Vous, contrairement à nous, n'êtes pas vaccinés contre les nôtres.
— Mais vous mêlez à la population d'une nouvelle espèce non immunisée contre vos virus, c'est l'exposer à un danger mortel. C'est risquer que ça finisse comme avec les Espagnols et les Natifs Américains.
— Qui ?
— Peut-être que je vous expliquerai ça une autre fois.
Skylar se tut et suivit Sarek jusqu'à l'infirmerie. Là, l'attendait un être qu'elle croirait sorti tout droit de Doctor Who, un être à la peau verte et écailleuse comme celle d'un serpent. Skylar s'arrêta sur le perron de la porte, derrière le Capitaine. Elle n'avait pas eu peur à la vue de Vahrak, mais voir ce docteur lui donnait quelque peu le tournis. Elle respira un bon coup et tâcha de ne pas paraître trop effrayée.
— Bienvenue à bord, dit-il. Je suis Qidell, médecin de bord.
— Bonjour, souffla-t-elle.
— Vous n'avez rien à craindre avec moi.
— Installez-vous, fit Sarek en l'aidant à s'asseoir, je vous laisse entre les mains impériales de Qidell, Skylar.
Skylar sourit et acquiesça, après tout, pourquoi pas ? Un autre alien, elle était venue pour ça. Sarek partit et la laissa seule avec Qidell. Le silence se fit alors que celui-ci préparait ses instruments. Le Capitaine avait dit qu'il fallait qu'il la vaccine, soit, mais comment être sûr que leurs vaccins seraient inoffensifs pour elle ? leurs protocoles n'étaient pas du tout aux normes, pensa-t-elle. Alors que Qidell s'approchait avec la seringue, elle l'arrêta d'une main.
— Attendez, qu'est-ce que ça contient ?
— Le nécessaire à votre survie. Vous serez immunisée contre de nombreux virus connus.
— Tout ça en une seule seringue ?
— Non, évidemment, il faudra vous faire d'autres injections, mais ceci contient les vaccins des virus et des bactéries les plus virulents.
— Soit. Ok, tout à fait honorable, bafouilla-t-elle, toujours pas rassurée. C'est certain que ça fonctionne pour vous, et je suis sûre qu'il y a des détails qui m'échappent …
— Qu'essayez-vous de dire ? coupa le Docteur.
— Êtes-vous certain que vos produits ne me tueront pas ? je sais comment fonctionnent les vaccins, et je suis certaine que les vôtres sont très efficaces, mais mon espèce est encore à la phase "étude," n'est-ce pas ?
— Oui ?
— Alors comment puis-je être sûre que vos vaccins ne me tueront pas ? vous les avez testés sur un humain ?
— Ça, c'est une très bonne question, intervint soudain Vahrak qui était revenue. Donc, Docteur, comment savoir si ces vaccins ne la tueront pas ?
— Vous les avez testés sur un humain ? redemanda Skylar…
— Non, mais ils sont efficaces sur toutes les espèces connues à ce jour.
— Mais vous n'les avez pas testés sur les Hommes, je n'pense pas que vous en ayez le droit de toute façon. Rien n'me dit que ça n'me tuera pas. Ce qui signifie que je suis votre… cobaye.
Un silence. Vahrak et Qidell se regardèrent. Celui-ci cherchait du soutien auprès de sa collègue, l'humaine avait soulevé un bon point auquel il n'avait pas de réponse concrète. Skylar, quant à elle, avait de grands yeux, impatiente d’avoir une réponse. Elle n'était pas stupide, ça c'était certain, elle leur en ferait voir de toutes les couleurs.
— Ne me regarde pas comme ça, l'humaine a raison.
Vahrah semblait presque s'amuser de la situation, bien que Skylar était encore incapable de discerner les émotions sur cet alien.
— Si vous me faites l'injection et que j'en meurs, comment expliquerez-vous ça à vos Supérieurs ? parce que vous avez des Supérieurs, n'est-ce pas ? y a-t-il une clause à signer avant ? quelque chose qui affirme que je l'ai fait de plein gré ?
— Une clause ? demandèrent en chœur Vahrak et Qidell.
— Oui. Quelque chose qui vous dédouanera de toutes responsabilités ? expliqua Skylar qui commençait de plus en plus à comprendre que leurs espèces n'étaient vraisemblablement pas gérées par autant de conventions que la sienne.
— Oh, je pense que je dois avoir ça quelque part, répondit finalement le Docteur après un nouveau silence.
— Je suis prête à prendre l'injection même si ce serait agir sans réfléchir, mais si j'en meurs, ce sera vous les responsables. Et moi, je serai, bah, morte.
Alors que Qidell partit chercher un quelconque document qui satisferait leur nouvelle membre d'équipage, Vahrak ne bougea pas. Elle aussi commençait à comprendre que les Humains font probablement partie de ces espèces qui sont dirigées par des centaines de conventions. Skylar ne serait pas aisée à manipuler. Elles restèrent à se regarder quelques secondes lorsque finalement un sifflement très léger se fit entendre et le Vaisseau se mit enfin en mouvement. L'humaine regarda Vahrak sans trop comprendre.
— Le Vaisseau vient de partir. Bienvenue dans l'espace, mademoiselle Hogan.
Skylar fut soudainement extrêmement triste et se sentit vidée. Elle baissa les yeux. Tant que le Vaisseau avait été stationnaire, elle n'y avait pas pensé, mais maintenant qu'il était véritablement parti… Elle ne pouvait s'empêcher de regretter déjà son choix.
— Ça y est ! nous sommes enfin partis de ce trou ! s'exclama Qidell en revenant avec le document.
Vahrak lui donna un coup à l'arrière de son crâne et lorsque celui-ci se tourna vers elle avec un regard confus, elle lui montra l'humaine.
— Je suis désolée, je n'ai pas voulu être insultant envers vous ou votre espèce.
— Ce n'est pas mon espèce que vous venez d'insulter, dit-elle en levant les yeux vers lui, mais ma planète.
Un silence amer se fit alors. Qidell lui fournit le document, qu'elle signa, puis il lui fit l'injection. À première vue, elle n'en mourait pas.
Elle était officiellement la première et la dernière humaine dans l'espace. C'était à la fois une joie et à la fois une grande tristesse. Elle avait laissé derrière elle sa planète, son peuple et sa famille. Tous vivraient leur vie sans savoir que l'Univers grouille de vie. Elle en avait la nausée. Alors que le Docteur continuait de l'ausculter, Vahrak parla.
— Ce n'est qu'une planète, vous savez.
— Qu'une… planète ? répéta Skylar.
Elle devait leur faire comprendre que sa planète représentait plus pour elle et pour son espèce. Il est vrai qu'ils ne connaissaient pas vraiment les Hommes.
— Combien y a-t-il d'espèces vivantes, "intelligentes" et "civilisées" vivant sur vos planètes respectives ? leur demanda-t-elle en mimant les guillemets. En plus de la vôtre ?
— Deux, répondit Qidell.
— Cinq, dit à son tour Vahrak.
— Donc vous avez toujours vécu avec d'autres espèces. Vous avez toujours cohabité avec elles. Vous n'avez jamais été seuls.
— Exact.
— Avez-vous toujours su que vous n'étiez pas seuls dans l'Univers ?
— D'aussi loin que remontent mes souvenirs, oui. Autant pour mon peuple que pour celui de Vahrak. Ça doit faire bien des millénaires, n'est-ce pas ? demanda-t-il à celle-ci.
— Oh, oui. Quelques millénaires dans des termes humains.
— Donc au niveau local et mondial, vous n'avez jamais été seuls. Vous avez grandi, vécu et quitté vos planètes en sachant parfaitement ce qu'il y avait à l'extérieur ?
— Où voulez-vous en venir ?
— Répondez à ma question.
— Oui, répondit alors Vahrak.
— C'est cool, savoir que vous n'étiez pas seuls dans l'Univers. Grandir en espérant pouvoir faire partie d'un quelconque Vaisseau qui vous mènera loin de chez vous. Mais voyez-vous, on n'est pas comme vous, non est très loin de vous et de votre Univers.
Tandis que Skylar parlait, Sarek arriva derrière Vahrak et s'arrêta pour l'écouter. L'humaine savait qu'il y avait le Capitaine, mais ça lui était égal. Elle avait quelque chose à dire et ils l'écouteraient. Qidell en avait fini avec elle, elle s'assit alors et continua de parler.
— C'est ça que vous aurez du mal à comprendre, ce n'est pas votre faute, c'est culturel. Ce n'est pas "qu'une planète" pour moi et pour mon peuple. On est seuls, on a toujours été seuls. Personne ne vient pour nous dire que l'on ne l'est pas, et personne ne viendra avant très longtemps. Il n'y a qu'une espèce dite "intelligente" et "civilisée" qui a survécu sur ma planète et c'est la nôtre. On est seuls. Et on le sera encore longtemps.
Elle marqua une pause et les regarda les uns après les autres.
— Vous pensez que les Humains ne vivent que pour la guerre, mais on est une jeune espèce, on évoluera. Et un jour, on vous méritera, selon vos conditions.
— Ce n'est pas une question de mérite, intervint Vahrak.
— Vous savez, je crois bien que si. Vos règles sont ridicules, pourquoi n'pas aider les jeunes espèces à évoluer, à grandir et à entrer dans le droit chemin ? à vrai dire, il est inutile de répondre, dit-elle alors que Qidell allait le faire. Je vais finir ce que j'ai à dire puis vous pourrez me faire toutes les remarques au monde après. Ce que je voulais vous dire, c'est que les Humains sont plus que c'que vous pensez. Beaucoup aiment la guerre et ne vivent que pour détruire, mais il y en a bien plus qui vivent pour construire et pour réparer les catastrophes des autres ! on ests si seuls, on recherche juste des amis, peut-être pas de la meilleure des façons, mais c'est là l'unique chose que l'on souhaite réellement. Alors, on se lie émotionnellement avec tout, absolument tout, et vous savez avec quoi on est le plus liés ?
— Votre planète.
— Exactement ! on est liés émotionnellement avec notre planète parce que c'est la seule constante que l'on ait depuis des millénaires ! c'est la seule chose dont que l'on est sûrs de voir demain ou dans 10 000 ans. La seule chose qui nous accompagne depuis notre naissance et qui verra notre mort. Alors non, ce n'est pas "qu'une planète" pour moi et pour mon peuple.
Skylar avait fini sa tirade. Elle avait conscience qu'ils n'avaient peut-être pas tout compris de ce qu'elle avait dit, mais ça lui était égal. Elle fixa Sarek, c'était celui qui avait le plus étudié les Humains, sûrement avait-il compris, lui ?
— Mademoiselle Hogan, dit-il en rentrant dans la lumière, venez avec moi, je vais vous montrer le reste du Vaisseau.
Vahrak laissa passer l'humaine et resta un moment à discuter avec Qidell.
Skylar et Sarek marchèrent ensemble jusqu'à la cuisine. Celle-ci était exceptionnellement fonctionnelle et grande. Elle était également lumineuse et contenait bien plus de rangements et d'assises que nécessaire. Elle était le cœur du Vaisseau, là où l'équipage aimait se retrouver. Sarek s'arrêta sur le perron.
— Que s'est-il passé là-bas ? demanda-t-il en faisant allusion à ce que Skylar avait dit.
— Je suis désolée, je me suis laissé emporter.
— Ne vous excusez pas avant de m'avoir expliqué.
Un silence.
— Un problème de communication, c'est tout.
— Il y en aura bien d'autres…
— Je sais, c'est pour ça que je m'excuse pour mes paroles, coupa-t-elle. Je ne voulais pas être méchante. Je voulais juste qu'ils essaient de comprendre que ma planète représente plus pour les Humains que le fait que ce soit "qu'une planète".
— Vous avez eu raison de vous expliquer.
— Sarek… Capitaine, pardon. Peu importe, d'accord ? ce n'est pas important.
Sarek n'insista pas, mais l'observa quelques secondes. Il avait essayé de comprendre les Humains et pour le moment, ils avaient été un véritable mystère malgré quelques bases qu'il avait acquises les concernant. L'humaine disait que ce qu'elle avait expliqué à Vahrak et Qidell n'était pas important, et pourtant cela semblait l'avoir beaucoup touchée. Il est certain qu'il y avait encore bien des choses à apprendre sur son espèce. Sarek avait la nette impression que c'était elle qui les comprendrait mieux qu'eux ne la comprendraient. Mais elle avait raison, peu importait maintenant, elle était là et ne pouvait plus partir.
Tous deux pénétrèrent finalement dans la cuisine. Il n'y avait rien de très spécial à voir ici, mais il avait dit qu'il lui montrerait le Vaisseau, c'est donc ce qu'il fit. Elle aurait besoin d'une carte pendant quelque temps, sinon elle risquait de se perdre.
Elle passa l'heure terrestre qui suivit à visiter le Vaisseau et rencontrer les derniers membres d'équipage. Sarek l'avait brièvement emmenée dans le poste de Commande afin qu'elle rencontre tout le monde, mais il l'avait informée qu'elle n'avait pas le droit d'y être sans le consentement du Capitaine ou de son Second. Plus elle y réfléchissait, plus elle se disait qu'il y avait beaucoup de choses qui lui étaient interdites, mais aucune explication n'y était associée. Ce qu'elle n'aimait particulièrement pas.
Skylar était tellement allée partout, avait tellement vu de choses qu'elle ne s'était même pas rendue compte que trois heures étaient déjà passées. Elle commençait à se sentir mal, comme si ces trois dernières heures l'avaient littéralement achevée. Elle était sur un Vaisseau spatial, un vrai de vrai. Elle était la seule humaine à avoir rencontré des aliens, des vrais de vrais. Et elle serait la seule à voyager dans l'espace pendant encore bien des siècles… Tout ça lui avait donné la nausée. L'adrénaline était descendue et elle ressentait un besoin urgent de se retrouver seule. Elle devait faire le point, et elle ne pourrait pas le faire entourée… d'aliens.
— Sarek… Capitaine, euh, pardon, commença-t-elle.
— Vous vous y ferez, assura l'intéressé.
Tous deux étaient de nouveau non loin de la cuisine, là où se trouvaient Qidell et Vahrak. Skylar arrêta le Capitaine d'un geste.
— Je suis désolée, mais serait-il possible de me rendre dans mes quartiers, je… j'ai besoin de… enfin. J'aimerais être seule un moment.
Sarek la regarda, il comprit alors. Ces dernières heures furent beaucoup de pression pour elle, il devait se souvenir qu'elle n'avait jamais vu d'aliens ou l'espace auparavant, qu'elle venait seulement d'apprendre que l'Univers était rempli de vie. Elle devait se poser et digérer tout ça.
— Venez, je vais vous montrer vos quartiers.
Tous deux marchèrent quelques instants puis atterrirent devant une porte dans un couloir peu éclairé. Elle n'avait pas su retenir la façon dont ils étaient arrivés là, mais pour le moment, ce n'était pas le plus important. Sarek ouvrit la porte et s'écarta. Skylar le regarda et lorsqu'elle entra, la lumière s'éclaira automatiquement. C'était comme elle l'avait longtemps imaginé, un mélange de Star Trek et de The Expanse, de vrais quartiers dans un vrai Vaisseau. À droite de l'entrée, elle aperçut ses affaires elles-mêmes à côté d'un large miroir.
— Il n’y a pas de miroir dans l'espace, intervint Sarek. Rares sont les espèces qui en ont l'utilité. C'est l'unique miroir du Vaisseau et il est à vous.
— Où l’avez-vous trouvé ? demanda-t-elle sans oser se mettre devant.
— Là où vous vendez vos objets. J’avais l’espoir que ce cadeau vous ravirait, ce n'est pas comme sur votre Planète, mais…
— C'est parfait, coupa-t-elle, merci.
Un silence.
— Vous avez un accès complet au Glossaire et à tout ce dont vous souhaitez à partir de ceci, dit-il en indiquant une sorte de tablette reposant sur son lit. Tout ce dont vous avez besoin de savoir pour voyager dans l'espace est accessible à partir de ça. Si vous avez d’autres questions, vous pouvez les poser à l’ordinateur de bord.
— L’ordinateur ?
— Ordinateur, s’exclama Sarek, voici notre nouveau membre, Skylar Hogan.
— Bienvenue à bord, répondit l’Ordinateur d’une voix robotique.
— Il répondra à toutes vos questions. Prenez le temps qu’il vous faut, finit Sarek en sortant.
La porte se referma automatiquement derrière lui. Skylar était seule à présent. Un silence oppressant s'installa. Elle regarda autour d'elle. Elle avait tout ce dont elle avait toujours rêvé, et pourtant, elle ressentait déjà un immense manque. La Terre lui manquait. Elle savait que cela arriverait dès l'instant où elle avait dit oui. Cela passera un jour ou l'autre. Elle se rendit devant le miroir. Sarek venait de dire qu'il n'y avait pas de miroir dans l'espace. C'était une drôle de phrase. Elle se fixa un moment, s'attacha les cheveux, et se dévêtit enfin de sa veste en cuir noire, puis se coucha sur le lit. Elle repensa à ces trois dernières heures et à toutes les questions qu'elle se posait encore. Son instinct n'était pas au repos, quelque chose n'allait pas dans cette histoire, et elle n'arrivait pas à savoir quoi...
Elle n’avait pas eu une seconde de répit. Elle avait rapidement compris qu’il faudrait plus de temps à l’équipage pour la comprendre que le contraire. Elle était dans ses quartiers, dans ce qui serait à elle jusqu’à ce qu’elle meure. Elle avait tout ce dont elle avait besoin, un lit, des armoires et une salle d’eau. Ce n’était ni trop grand ni trop petit, c’était juste ce qu’il fallait pour une personne. Le Bâtiment de Sarek était immense et elle savait qu'elle viendrait à s’y perdre. Mais il y régnait un calme étrange. Skylar avait rencontré tout l’équipage et actuellement, ils étaient probablement tous dans la cuisine en train de manger. Pour sa part, elle avait préféré s’isoler un moment. Il y avait beaucoup de choses à emmagasiner et quelques pages à tourner.
Elle était officiellement la première humaine à avoir rencontré des extraterrestres.
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