Skylar gardait en tête l'heure terrestre, et selon ses calculs, elle était dans l'espace depuis au moins deux jours. Elle avait réussi à digérer en partie tout ce qui s'était passé depuis son arrivée sur le Krœnos, et ses nouveaux camarades avaient grandement contribué à son adaptation. Ils lui avaient accordé du temps et de l'espace, essayant tant bien que mal de comprendre ce qu'elle pouvait ressentir. Skylar avait remarqué que leur empathie envers son espèce était encore limitée, mais elle ne leur en tenait pas rigueur.
Ce qui l'avait également intriguée, et ce sur quoi elle avait échangé avec Sarek, c'était leur capacité à se comprendre. Cela avait donné lieu à une étrange conversation.
— Capitaine, avait-elle commencé alors qu'ils s'étaient croisés dans un couloir, j'ai une question.
— Laquelle ? avait-il répondu.
— Comment ça se fait que vous me compreniez quand je parle ?
Sarek l'avait regardée, visiblement surpris par sa question.
— Eh bien, le traducteur, avait-il dit comme si c'était évident.
— Le traducteur ?
— Oui, le traducteur.
— Quel traducteur ?
— Celui qui est implanté directement sur mon système nerveux, dans mon cou, et qui me traduit tout ce que vous dites.
— Mais comment j'vous comprends si j'n'ai pas de traducteur ?
— Oh, comment vous expliquer ? disons qu'il établit une sorte de lien télépathique entre votre cerveau et le mien, ou celui de la personne avec qui vous parlez.
Un silence. Skylar le regarda, cette fois, c'était à elle d'être confuse. Elle le regarda, incrédule, comme s'il était simplement devenu fou.
— Un lien télépathique ?
— C'est... oui. Je peux comprendre que vous soyez confuse. Cependant, vous en aurez besoin également. Pour l'instant, vous n'en avez pas l'utilité, mais lorsque viendra le moment de votre première exploration, nous vous en implanterons un. Si vous vous retrouvez seule avec un peuple qui n'a pas de traducteur, cela sera compliqué.
— D'accord…
Après cette étrange conversation, sa première journée, si elle avait bien calculé, avait été relativement calme. Sarek et les autres lui avaient laissé le temps nécessaire pour s'acclimater à leur environnement. Elle avait passé beaucoup de temps à explorer le vaisseau, bien que "se perdre" serait un terme plus approprié. Finalement, Vahrak lui avait fourni un plan complet qu'elle pourrait étudier tranquillement dans ses quartiers. Elle lui avait par ailleurs servi un peu de guide et lui avait montré les lieux les plus importants, à l'exception du poste de Commande. Puis, voyant Skylar perdue dans ses pensées, Vahrak avait décidé de la laisser vaquer à ses occupations.
Skylar avait fini par trouver le sas extérieur, le seul endroit à part le poste de Commande où elle pouvait voir l'espace. Elle avait contemplé le vide cosmique pendant quelques instants avec un sourire, puis s'était assise contre la vitre pour étudier le glossaire. Elle ne s'attendait pas à ce qu'il soit si complet et si dense. Elle avait apporté un carnet pour prendre autant de notes que possible. Mais, plus elle l'étudiait, plus elle réalisait qu'il manquait parfois des informations essentielles sur de nombreuses espèces. Son insatiable curiosité la poussait à vouloir répondre à ces questions non résolues.
Le Glossaire offrait une multitude de catégories pour trier les informations : "planètes habitées", "planètes potentiellement habitables", "planètes non habitables", mais aussi "nouvelles espèces", "civilisations disparues", "guerres galactiques", et bien d'autres. Skylar se sentait comme au paradis ! c'était comme si elle était plongée dans l'univers de Star Wars, mais c'était réel. Et c'était son univers à présent. Plus elle plongeait dans le Glossaire, plus elle ressentait une pointe de tristesse pour sa propre espèce, qui ne pourrait pas bénéficier de ces connaissances avant longtemps. Très longtemps. En pensant à son peuple, elle décida de consulter la fiche sur les êtres humains pour en savoir plus sur ce qu'il se disait à leur sujet.
Nom originel : Humain, être humain
Catégorie : Espèce
Type : Humanoïde
Planète d’origine : Terre, Terra, Dressa
Langage : Inconnu
Taille : Inconnue
Couleur de peau : Inconnue
Caractéristiques : Fort dimorphisme sexuel
"Les humains, ou êtres humains, désignent une espèce récemment découverte originaire de la planète Terre. Les membres de cette espèce présentent une grande variabilité de taille, en lien probable avec un fort dimorphisme sexuel. La couleur de leur peau est également très variable, semblant dépendre de l'environnement plutôt que de la biologie. Les humains utilisent de nombreux langages, qui n'ont pas encore tous été répertoriés. Cette espèce fait actuellement l'objet d'études approfondies… "
— Eh bien, dit Skylar à voix basse, c'n'est pas si mal. Peut-être que je pourrais fournir plus d'infos. Ordinateur ?
— Oui ? répondit l'IA.
— Qui est responsable de la rédaction du Glossaire ?
— L'Académie de la planète mère, sous l'approbation de l'Amiral.
— Tu peux m'en dire plus ?
— Siirus est la planète mère de cette galaxie, où nous nous trouvons. Tous les Capitaines, comme le Capitaine Sarek, sont directement affiliés à l'Académie. Ils sont chargés d'explorer la galaxie et de répertorier toutes les nouvelles planètes et espèces découvertes.
— D'accord, j'comprends mieux. En tant qu'être humain, j'ai donc la légitimité nécessaire pour fournir davantage d'infos sur ma propre espèce et ma planète à l'Académie ?
— Oui, en effet, vous avez plus de légitimité que les Capitaines de l'Académie à cet égard.
— Comment j'peux aider à compléter le Glossaire, alors ?
— Vous devrez en discuter avec le Capitaine, qui vous mettra en relation avec l'Amiral et les rédacteurs du Glossaire.
— D'accord. Merci.
Skylar savait que remercier un ordinateur était inutile, un peu comme s'excuser auprès d'un réfrigérateur après l'avoir heurté. Quelques secondes s'écoulèrent, puis elle se décida à consulter la fiche de la Terre. Elle savait que cela pourrait être particulièrement intéressant.
"Dénommée Terre ou Terra par les Hommes, bien qu'elle soit encore communément appelée Dressa par beaucoup d'espèces, cette planète fut découverte par le Capitaine M'cok."
— Terra, je comprends, mais Dressa ? s'exclama Skylar en s'interrompant dans sa lecture.
— Tout va bien ? demanda une voix.
Skylar leva les yeux du Glossaire pour voir Craarrain, le Navigateur du Vaisseau, face à elle. Craarrain était un Furra, une espèce métamorphe dont l'apparence réelle restait un mystère. Ils pouvaient changer d'apparence à volonté. Aujourd'hui, il avait pris celle d'un homme grand et imberbe. Skylar avait remarqué que ses traits semblaient s'adapter à la personne avec qui il interagissait. Elle avait hâte de découvrir plus d'informations à leur sujet, peut-être plus tard dans le Glossaire.
— Oh, bonjour, dit-elle d'une petite voix.
— Tout va bien ?
— Oui, je lisais le Glossaire.
— Ici ?
Skylar ne répondit pas immédiatement. Quel mal y avait-il à lire ici ? Craarrain remarqua son malaise et finit par lui adresser le même sourire qu'elle lui avait fait quand ils s'étaient rencontrés, ce qui détendit un peu l'atmosphère.
— Puis-je m'asseoir ? demanda-t-il.
— J'vous en prie.
Le Furra prit place, et un silence s'installa. Skylar n'était généralement pas à l'aise en société, même avec sa propre espèce, alors face à un membre d'une autre espèce…
— Pourquoi lisez-vous le Glossaire ici ? il y a des endroits plus appropriés pour la lecture, vous savez.
— J'me sens bien ici, répondit-elle en le regardant. Au moins, j'ai une vue sur l'espace.
— Mais on ne voit que le vide spatial.
— Seulement si c'est tout c'que vous cherchez. Il y a tellement plus à voir que le vide.
— Je ne comprends pas.
— C'est... c'n'est pas grave.
Un autre silence s'installa.
— De quoi parliez-vous quand je suis arrivé ? demanda enfin Craarrain.
— Je lisais la fiche sur la Terre. Je me demandais pourquoi le Capitaine M'cok l'a appelée Dressa.
— Le Capitaine Sam's M'cok est un Ormean, et Dressa est une de leurs divinités.
— Quelle divinité ?
— La Déesse de la Mort.
— De la Mort ? s'étonna Skylar. Pourquoi avoir donné à ma planète le nom d'une Déesse de la Mort ?
— Avez-vous déjà observé la météo sur votre planète ? elle est très instable.
— Il existe des planètes où la météo est bien plus imprévisible que sur Terre. Certaines de nos planètes voisines, par exemple !
— C'est vrai, et il y a même des planètes bien pires que la vôtre. Cependant, le Capitaine M'cok vient d'une planète très stable, où la météo ne change pratiquement jamais. C'est pourquoi il a nommé votre planète ainsi.
— Oh, j'comprends maintenant. Un Ormean, vous avez dit ?
— Oui.
— Merci pour l'explication.
— Et vous, pourquoi votre peuple a-t-il nommé sa planète mère "la Terre" ?
Skylar réfléchit un moment. Elle n'avait jamais vraiment eu à répondre à cette question. Très peu de gens, en dehors des enfants, se la posaient sérieusement.
— Eh bien... C'est un peu compliqué, pour être honnête. Le nom de notre planète semble avoir une origine dans le domaine des divinités aussi, Terra ou Tellus, mais avec le temps, les détails précis se sont perdus.
— Alors vous aussi, vous nommez vos planètes en référence à des divinités ? demanda Craarrain.
— Oui, apparemment. Est-ce une coutume répandue dans toute la galaxie ?
— Il semblerait.
— C'est très intéressant… dit-elle en prenant une note.
Le silence qui s'installa était, cette fois, étrangement confortable autant pour Craarrain que Skylar. En fait, elle commençait à se sentir à l'aise en sa compagnie.
— Pourquoi vous êtes pas au poste de Commande ? demanda-t-elle après quelques minutes.
— Le vaisseau est en pilotage automatique, l'Ordinateur gère tout. Le Capitaine nous accorde beaucoup de temps libre lorsque nous sommes en mission d'exploration.
— Quand est-ce que j'aurai la chance de voir une planète ?
— Bientôt.
— En fait, nous nous dirigeons vers le Marché, ajouta une voix.
Cette fois, Grige Khen, le responsable des Communications, se tenait devant eux. Il était d'une espèce connue sous le nom d'Hopperan. Les Hopperans étaient grands, atteignant parfois 2,10 mètres de hauteur, comme c'était le cas pour Grige. Ils étaient filiformes, aux cheveux blonds et à la peau très pâle. La première fois que Skylar l'avait vu, elle avait cru voir un fantôme, mais en fixant ses yeux, elle avait réalisé qu'il n'était pas aussi effrayant qu'elle le pensait. Ses yeux semblaient renfermer des galaxies, et elle les avait trouvés hypnotisants.
Craarrain et Grige échangèrent un regard étrange.
— Le Marché ? dit-elle en revenant à la réalité. Qu'est-ce que c'est ?
— C'est un endroit que nous fréquentons régulièrement. Comme son nom l'indique, c'est là que nous nous ravitaillons en provisions. Et en ce moment, nous en avons grand besoin. Vous y croiserez de nombreux capitaines, pas tous affiliés à l'Académie, et pas tous aussi scrupuleux qu'eux. C'est un lieu très actif, expliqua Grige.
— Oh, ça veut dire que vous allez m'implanter le même traducteur que vous ?
— Ne vous inquiétez pas, ce sera indolore, rassura Craarrain.
— J'l'espère bien... C'n'est pas que j'ai peur de la douleur, mais... enfin, ouais, j'ai un peu d'peur, surtout si cette chose est implantée dans mon système nerveux.
— Ne vous en faites pas, Qidell s'en chargera. Il est très habile de ses mains.
— Je suis soulagée de vous avoir trouvé, je vous cherchais depuis quelques minutes. Que faites-vous ici ? demanda Grige.
Skylar ne put s'empêcher de sourire en sachant qu'un alien allait une fois de plus être déconcerté par ses actes.
— L'humaine était en train d'étudier le Glossaire, et nous avons discuté à ce sujet, répondit rapidement Craarrain.
— D'accord, mais pourquoi ici en particulier ? questionna Grige Khen en s'asseyant avec eux.
— L'espace, c'est le seul endroit du Vaisseau où je peux voir l'espace, intervint cette fois Skylar.
— Il y a le poste de Commande.
— Elle n'est pas autorisée à s'y rendre, Grige.
— Ah, bien sûr. Nous avons encore pas mal de temps avant d'arriver au Marché. Voulez-vous que l'on étudie le Glossaire ensemble ? proposa-t-il.
Skylar sourit à nouveau. Pourquoi pas ? cela pourrait être une expérience intéressante d'étudier le Glossaire avec eux. Peut-être avaient-ils une perspective différente ou connaissaient-ils plus d'informations que ce que celui-ci contenait. En tout cas, c'était une excellente idée.
Skylar, Craarrain et Grige passèrent une grande partie du voyage à étudier le Glossaire. Ils commencèrent au sas extérieur, puis finirent dans la cuisine, entourés de boissons et de nourriture de toutes sortes, ce qui intrigua Skylar étant donné qu'ils étaient censés se rendre au Marché pour se ravitailler en provisions...
Ses deux collègues lui firent goûter ce qui se trouvait dans leurs armoires pour comparer avec ce que disait le Glossaire. Ils lui expliquèrent également quelques rudiments d'ingénierie et de pilotage. Skylar fut étonnamment captivée par la partie sur l'ingénierie. Ils précisèrent cependant qu'aucun d'entre eux n'était aussi compétent en la matière qu'Ilki’thelae, l'ingénieur du Vaisseau, bien que Vahrak ne soit pas en reste non plus. Finalement, Ilki’thelae les rejoignit.
Grige et Skylar étaient plongés dans un débat philosophique sur la nature de l'Ordinateur de bord. Skylar soutenait que l'Ordinateur était plus proche du vivant que de l'Intelligence Artificielle, tandis que Grige pensait le contraire. La discussion était animée, mais amicale. À côté d'eux, Craarrain finit par s'endormir sur la table. Ilki’thelae les observa un moment sans vraiment comprendre la conversation, mais lorsqu'il saisit de quoi il s'agissait, il se joignit à eux. Ilki’thelae était d'une espèce que les humains auraient qualifiée de "petits gris". Sa peau était rougeâtre, mais sinon, il ressemblait beaucoup à la représentation typique des extraterrestres que les humains se représentaient.
Ilki’thelae écouta attentivement les arguments de chacun et finit par se ranger du côté de Grige. Skylar comprit que ces deux-là ne pouvaient pas considérer l'Ordinateur comme étant vivant, car leur espèce n'avait pas la même capacité à former des liens émotionnels avec tout comme les êtres humains le faisaient. Elle se demanda s'il existait d'autres espèces similaires à la sienne.
Tout cela était incroyablement intéressant. Alors que la question continuait de faire l'objet d'un débat animé, Craarrain se réveilla finalement et se rangea du côté de Skylar. Enfin, une espèce qui partageait un point de vue similaire au sien. Sans qu'ils ne s'en rendent compte, Qidell les rejoignit également. La conversation dévia rapidement vers d'autres sujets, et Skylar prit des notes pendant toute la discussion.
Lorsque Vahrak et Sarek finirent par les rejoindre, ils furent surpris de constater à quel point la conversation était animée. Après un moment, chacun retourna à son poste, car le Marché était maintenant en vue. Skylar se dirigea vers l'infirmerie pour que Qidell puisse lui implanter son traducteur. Craarrain avait eu raison, l'opération fut sans douleur.
Alors que le Marché se rapprochait, Skylar décida de se changer. Sa première planète, sa première exploration, elle n'était pas prête pour cela ! elle opta pour un jean noir, une chemise à carreaux verte, des bottes noires et une veste assortie. Elle attacha ses cheveux en deux tresses. Elle se sentait comme dans un film. En se regardant dans le miroir, une étrange sensation de nausée la submergea. C'était si soudain qu'elle dut s'asseoir.
Deux coups à sa porte la tirèrent de ses pensées.
— Entrez.
— Êtes-vous prête ? nous sommes arrivés, demanda Craarrain alors que les vibrations du vaisseau s'arrêtèrent brusquement.
Ils avaient atterri. Ils étaient officiellement sur une autre planète que la Terre, pourtant Skylar n'avait aucune envie de quitter ses quartiers. Une peur irrationnelle s'emparait d'elle.
— Tout va bien ? reprit-il, visiblement inquiet de son silence.
— Je... je n'me sens pas très bien, vraiment pas bien.
Craarrain s'agenouilla devant elle et l'examina attentivement. Elle était anormalement pâle.
— Vous ne semblez pas être en forme, en effet. Ne bougez pas, je vais chercher Qidell.
Sans plus attendre, Craarrain partit en courant. Skylar réalisait que son esprit avait réussi à convaincre son corps qu'elle était malade, tout simplement pour éviter de sortir du vaisseau. Elle trouvait souvent l'esprit humain fascinant. Quelques instants plus tard, Craarrain et Qidell arrivèrent en hâte. Skylar n'avait pas bougé, toujours prise de nausées. Qidell s'agenouilla à ses côtés et commença à poser des questions.
— Que se passe-t-il ? où avez-vous mal ?
— J'ai des nausées, je n'comprends pas... J'ai l'impression que j'vais vomir...
— Cet état n'est pas normal.
— Alors, elle est vraiment malade ?
— Oui, il semble que oui.
— Oh... J'étais si contente de partir explorer une autre planète... mentit Skylar.
— Je le sais. Est-ce possible que cela soit dû à quelque chose que vous avez mangé ?
— Nous avons goûté beaucoup de choses avec Grige. Il est possible qu'un de ces aliments ne lui convenait pas ?
— Craarrain, par tous les dieux de l'univers, ne lui faites pas goûter des aliments si vous n'êtes pas sûrs qu'elle ne risque rien !
Skylar savait très bien que ce n'était pas la nourriture qui causait son malaise, mais son propre esprit, qui l'avait persuadée qu'il lui arriverait quelque chose si elle sortait. Elle se rendait malade toute seule. Qidell se leva et appela le Capitaine, qui arriva en moins d'une minute. Après avoir entendu le rapport de Qidell, ils s'isolèrent à l'écart.
— Tu es sûr qu'elle ne peut pas nous accompagner ? demanda Sarek.
— Oui, je ne peux pas risquer de compromettre sa santé davantage.
— Ce n'était pas prévu ainsi, Qidell. Nous avons besoin d'elle.
— Elle ne peut pas sortir du vaisseau...
— Nous avions besoin d'un être humain. Si nous partons sans elle, nous ne pourrons pas obtenir ce dont nous avons besoin, s'énerva Sarek.
— Capitaine, elle est malade, elle reste ici pour se reposer. Je suis sûr que nous trouverons une solution.
— Espérons...
Skylar n'avait pas entendu un mot de leur conversation. Lorsque le Capitaine revint vers elle, il s'excusa pour sa situation.
— Je suis désolé que vous soyez malade pour votre première sortie. Restez ici pour vous reposer. Nous avons rendez-vous avec des amis, ne vous inquiétez pas si nous ne revenons pas tout de suite.
Skylar acquiesça et tous quittèrent ses quartiers. Dès que la porte se referma derrière eux, ses nausées disparurent instantanément. C'était presque magique. Elle se leva et fit les cent pas. C'était si stupide, complètement absurde. Comment pouvait-elle imaginer qu'elle ne serait pas en sécurité à l'extérieur ?
Pendant ce temps, les autres étaient tous réunis à l'entrée du vaisseau, prêts à sortir.
— Où est Skylar ? demanda Vahrak.
— Elle ne viendra pas avec nous, répondit-il.
— Comment ça, elle ne vient pas ? s'exclama Ilki’thelae.
— Nous avons besoin d'un être humain, insista Vahrak.
— Elle est malade, elle ne peut pas sortir du vaisseau.
— Ça ne fait aucune différence !
— Nous devons faire sans elle.
— Toutes ces semaines d'attente et de voyage pour rien ?! dit Grige Khen.
— Nous ne pouvons rien faire sans elle, Sarek, tu le sais.
— Nous trouverons une solution, d'accord ? nous avons un être humain, elle ne peut tout simplement pas sortir.
L'équipage le regarda, incertain de la viabilité de ce plan, mais pour l'instant, c'était la seule option. Sarek ouvrit la porte et ils sortirent.
Pendant ce temps, Skylar s'était allongée sur son lit et avait réfléchi. Elle ne pouvait pas laisser passer l'occasion de voir une vraie planète sous prétexte d'une intuition irrationnelle ! c'était pour cela qu'elle était venue. Elle prit une profonde inspiration et se leva. En ouvrant la porte, cependant, une sensation d'alerte la saisit. Elle ne pouvait pas ignorer ce pressentiment. Elle fouilla dans ses affaires et sortit son couteau rétractable, qu'elle glissa dans sa botte par précaution. Sarek et les autres devaient déjà être partis depuis une dizaine de minutes terrestres. Si ce marché était aussi encombré que ceux sur Terre, elle aurait du mal à les repérer. D'un autre côté, s'ils pensaient qu'elle était vraiment malade, ils ne s'attendraient pas à la voir les suivre. Elle devait comprendre pourquoi elle ressentait cela.
Elle se dirigea vers la sortie, demandant à l'Ordinateur de la guider. Toutefois, au moment où elle s'apprêtait à ouvrir la porte, une question la traversa : pouvait-elle respirer à l'extérieur ?
— Ordinateur ?
— Oui ?
— L'air est-il respirable pour moi ?
— Oui, le taux d'oxygène est de 20 %, suffisant pour les humains.
— Merci.
Elle ouvrit alors la porte. Un souffle nauséabond la frappa d'abord, mais bientôt les odeurs se stabilisèrent. Ses yeux s'écarquillèrent. Sa première planète...
Skylar déambulait dans ce marché immense depuis environ vingt minutes. Elle avait cru apercevoir l'équipage à plusieurs reprises, mais s'était toujours trompée. Elle avait l'impression de vivre un épisode de Star Trek ou de Doctor Who avant le début de l'action. Grige n'avait pas menti, le Marché était aussi animé qu'un marché terrestre, mais peuplé d'aliens en tout genre à la place des humains. Skylar se surprit à fixer un alien après l'autre, une habitude qui devait être inhabituelle ici. Elle n'avait pas été préparée à ce monde. Chaque civilisation semblait avoir de nombreux points communs. En parcourant les nombreux stands, elle avait remarqué des aliments et des boissons étranges, mais aussi toutes sortes de babioles. Elle commençait à comprendre que les civilisations de l'Univers partageaient bien plus qu'on ne pouvait l'imaginer.
Au détour d'un stand de fleurs exotiques, au milieu de la foule, elle les aperçut. Du moins, elle repéra Sarek et Vahrak en pleine discussion avec trois aliens. Elle avait déjà vu deux ou trois spécimens semblables dans le Marché : des créatures à la peau sombre, dissimulées sous une capuche noire qui cachait une partie de leurs visages, et des mains métalliques. Par prudence, elle les avait évités. Cela lui avait donné l'impression d'être Frodon, se cachant des Nazgûl, une expérience qu'elle avait détestée. Maintenant, elle hésitait encore. Aucun d'entre eux ne l'avait repérée, la foule était dense, mais elle avança discrètement vers eux et se cacha derrière un autre stand à proximité. Son intention était d'écouter leur conversation.
Elle se trouvait idiote, elle aurait simplement pu se joindre à eux et dire qu'elle se sentait mieux. C'était ce qu'elle allait faire quand elle aperçut une arme sous le manteau à capuche d'une des créatures. Ce fut rapide et furtif, mais elle l'aperçut clairement. Skylar savait reconnaître une arme quand elle en voyait une, même à des années-lumière de chez elle, littéralement. Plus elle les observait, plus elle se doutait qu'il y avait quelque chose qui clochait. Sarek et Vahrak étaient également armés. Elle devait partir, peu importait où, elle devait s'éloigner d'eux, de tout le monde !
Elle en était sûre, c'était un piège. Elle l'avait compris. C'est pour cela qu'elle avait ressenti cette sensation étrange devant le miroir. Ils avaient tous menti dès le départ. Comme lorsque sa mère lui avait dit que Chaton avait décidé de partir quand elle avait 8 ans, ou quand son frère lui avait expliqué qu'elle ne devait pas venir pour Noël car "Vi est malade, on préfère rester entre nous" à ses 18 ans, ou même lorsque ses parents lui avaient annoncé qu'ils voulaient se retrouver seuls pour tenter une "dernière chance" l'année suivante. Tout cela n'avait été que des mensonges. Et aujourd'hui, c'était la même chose. Ils avaient besoin d'un être humain, ils avaient désespérément besoin de refaire leurs provisions, ils s'étaient isolés pour discuter et Sarek n'avait pas semblé désolé pour elle, mais pour lui-même. Ils lui avaient menti. Il l'avait fait. Bon sang... Skylar avait suivi quelqu'un dans l'espace sur un mensonge, et elle le savait depuis le début.
Elle fit demi-tour tout en gardant un œil sur eux. Elle ne pouvait pas retourner au vaisseau, quelle que soit le piège, il était liée à elle et ils croyaient tous qu'elle était sur le Krœnos. Elle ne pouvait pas s'y rendre. Mais où aller alors ? comment pouvait-elle les fuir ?
Ils continuaient de parler. Quand elle fut sûre qu'ils ne la verraient pas, elle se mit à courir aussi vite qu'elle le pouvait, bousculant involontairement les passants sur le Marché.
Elle courut, tourna, vira. Elle était en panique totale, incapable de retrouver son chemin. Partout où elle regardait, elle avait l'impression de les voir. Cependant, un problème restait sans réponse : elle n'avait vu que Sarek et Vahrak, où étaient les autres ? elle ferma les yeux pendant quelques secondes pour se calmer. Plus elle paniquait, plus elle serait vulnérable. Elle observa attentivement tous les visages qu'elle croisait, essayant de capter des bribes de conversation dans le tumulte environnant. Puis, elle en repéra un, puis deux. Grige Khen et Craarrain approchaient d'elle. Ils ne l'avaient pas encore repérée. Elle reprit sa course dans la direction opposée, et lorsqu'elle fut sûre qu'ils ne la poursuivaient pas, elle se retourna enfin, le souffle court. Mais elle se trouva nez à nez avec le Capitaine.
— Sarek ?! dit-elle en panique.
— Je savais bien que c'était vous que j'avais vu. Vous allez mieux, alors.
— Cessez ce jeu. Je n'suis pas stupide, contrairement à ce que vous croyez. Que me voulez-vous ? pourquoi m'avoir piégée ? vous êtes un menteur.
— Je suis désolé, mais c'était nécessaire. Vous comprendrez plus tard.
— Comprendre quoi ?
Mais Sarek ne répondit pas, et deux bras puissants la saisirent par derrière, des bras avec des mains de fer. Elle se débattit, mais c'était inutile. Un des bras lui serra la gorge, et finalement, elle perdit connaissance. Ils l'avaient trahie.
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